« Shoot out to Gangsta Gibbs he’s the next to blow », c’est bien la voix de Young Jeezy que l’on entend résonner dans l’intro, ou plutôt le témoignage de Lil’ Sody, Jeezy qui s’est séparé là de Freddie Gibbs en de mauvais termes au point que ce dernier ait carrément reçu des menaces de mort. Néanmoins dans ce contentieux, c’est bien le patron de CTE qui a perdu gros. La crédibilité et l’authenticité de Freddie Gibbs était telle qu’il en était devenu la vedette incontournable et son départ (qui a succédé à celui de Scrilla) a significativement affaibli l’influence du Snowman. Maintenant free agent, la sortie de ESGN est un joli double doigt d’honneur.
Lorsqu’il a émergé en 2010 avec sa mixtape et son EP Str8 Killa No Filla, il ne faisait aucun doute que Freddie ferait carrière, bien que sa trajectoire soit atypique, ponctuée par des free albums d’excellente facture (Cold Day in Hell, Babyface Killa) et un EP avec Madlib qui devrait bientôt se transformer en LP. ESGN est officiellement son premier album, qu’on attendit pas de sitôt (sa sortie a été avancée de plusieurs jours). Produit par Cardo, SAP, Lord Zedd, Wille B ou encore Tone Mason, les beats typés midwest nous rappelle la géographie de Gary, Indiana (situé à quelques bornes à l’est de Chicago). Et si on pensait que Gangsta Gibbs finirait esseulé de son divorce d’avec Young Jeezy, détrompez-vous, il est accompagné de la mauvaise graine locale : Lil Sody (que j’ai présenté), Hit Skrewface, Big Kill et G.I. Fleezy. Mieux que ça, des gars de la Westcoast ont fait le déplacement, Problem (« One Eighty Seven« ), Jay Rock (de la bande des Black Hippy) et les vieux OGz Spice 1 et Daz Dillinger sur « F.A.M.E.« , climax de cet album qui relègue les disques gangsta rap de ces dernières années au rang de comptines.
Pur produit de la rue, flow de semi-automatique, Freddie Gibbs a ce truc en plus qui le distingue des autres et incite à un profond respect que même les plus sévèrement burnés ne viendront pas tester, cette attitude thug qui rappelle diablement celle de Tupac dans sa période Death Row et les Bone Thugs N Harmony pour le style. Qu’il en soit un héritier spirituel est une évidence. Et bien que les sujets exploités dans chacun de ses titres sont typiques du gangsta-rap, il en renouvelle presque le genre tellement il s’en est approprié les codes pour les réécrire. Durant l’écoute de ESGN on n’a pas le temps d’esquisser un sourire, l’ambiance est grave même quand elle est laid-back (« I seen a man die« ). Sa réalité est lourde, il suffit d’un rien pour que des tragédies arrivent. Les rares moment de détente sont « The Color Purple » avec son instru en slow-motion et « Dope in my Styrofoam » avec son sample de « In the Mood » de Tyrone Davis. Sinon, pas une once de fragilité n’émane de Freddie Gibbs, pas de sensibleries à deux balles, personne n’osera tacler ESGN.