Kendrick Lamar « Good Kid, m.A.A.d. City » [Deluxe Edition] @@@@@


Souvenez-vous, dans le numéro de Now Playing de début 2012, un article a été consacré à Kendrick Lamar expliquant pourquoi il avait ses chances de marquer les esprits durant l’année. À vrai dire, qui doutait que Good Kid, m.A.A.d. City allait devenir un des albums rap de 2012, ou pourquoi pas même 2013 ? Le plébiscite est tel au point que quelques artistes l’ont félicité pour son album, du style Janelle Monae, Ice Cube, Flying Lotus, Lupe Fiasco…

Une liberté artistique totale

On aurait pu avoir peur pendant quelques minutes que Kendrick se fasse malmener par sa nouvelle maison de disque, en lui imposant tel producteur ou tel type de morceaux rap à passer en radio. Or ce n’est pas le cas, et c’est suffisamment important pour le signaler. C’est juste lui, son entourage de producteurs (Sounwave, Skhye Hutch, Terrace Martin…) et son équipe de Top Dawg Entertainment (Punch, l’ingé son MixedByAli). Et un mentor, pas n’importe lequel : Dr Dre. Comme le docteur, K.Dot vient de Compton, un lieu dangereux où les gangs font rage mais qui à chaque génération a engendré des rappeurs ou producteurs prodigieux, Dre évidemment, Ice Cube, Eazy-E, MC Eiht, DJ Quik, Game… Voilà une idée de son pédigrée. Puis si Kendrick Lamar est là où il en est aujourd’hui, ce n’est pas grâce à des millions de vues sur Youtube qui l’ont propulsé à ce niveau (des gags avec des chatons font autant de statistiques hein), c’est son talent pur qui a conquit les gens de tout bord.

Pourtant le rôle de Dr Dre n’est pas de contrôler son nouveau protégé, ni de lui produire son album.Sa tâche consiste à apporter son expertise acoustique, ses conseils, accessoirement sa présence en tant que featuring et la puissance de son label Aftermath Records. Ce qui s’est appliqué sur le premier single « The Recipe » apparu – dans les délais ! – début Avril 2012 : une somptueuse production signée Scoop DeVille sur laquelle Dr Dre a posé sa touche tel Midas, Dre qui ouvre d’ailleurs la chanson avec un premier couplet (écrit par son hôte cela va de soi) avant que Kendrick ne prenne ses espaces comme il sait si bien le faire.

Mais il ne fournit aucun beat sur Good Kid, m.A.A.d. City, et c’est là un acte fort de la confiance qu’il porte en Kendrick. C’est une première pour un artiste estampillé Aftermath. Eminem, 50 Cent, The Game ou même Busta Rhymes ont été partiellement, voire totalement dirigés et/ou produits par Dr Dre et sa team producers, pas Kendrick. Le Black Hippy jouit d’une liberté artistique totale par rapport aux thèmes de ses morceaux, le choix de ses producteurs et donc de ses beats, et même la construction de l’album en lui-même. Son format est assez inhabituel, avec certaines pistes dépassant allègrement les cinq minutes – le single « Swimming Pools (Drank) » est prolongé dans sa version album prolongée par un sombre couplet supplémentaire –, parfois deux instrumentaux différents sur un seul et même morceau (« Art of Peer Pressure », « Sing About Me, I’m Dying of Thirst », « m.A.A.d. City »). Le titre de l’album est d’ailleurs scindé en deux, « Good Kid » et « m.A.A.d. City ».

Good Kid, m.A.A.d. City n’est pas un album à singles. Juste un « vrai » album, guidé par l’intuition de son auteur. Rien à cirer des critères de formatage.

Pour l’histoire

Kendrick nous avait prévenu, Good Kid, m.A.A.d. City est différent de son très estimé album digital Section.80. La vibe et les thèmes n’ont en effet rien à voir, pas de titres comme « Rigamortus », « F*ck Your Ethnicity » ou « HiiiPower ». Ce premier album majeur prend un angle autobiographique, centré sur l’adolescence de Kendrick, gentil gamin vivant dans une ville pleine de vices et de péchés. Pour l’anecdote ‘m.A.A.d.’ est l’acronyme de « my Angry Adolecent divide » ou « my Angles on Angels Dust. » Beaucoup de storytelling autour de son vécu ou de ce qu’il a vu donc, comme sur « The Art of Peer Pressure » où il est question de l’influence de ses potes, les douze minutes de « Sing About Me, Dying of Thirst », ou encore par exemple « Sherane a.k.a. Master Spleenter’s Daughter », narrant sa rencontre avec une fille venant du mauvais endroit. Sans rien enjoliver, il décrit ses expériences avec originalité, preuve en est le single « Swimming Pools (Drank) » (produit par T-Minus) qui nous immerge dans ses déboires avec l’alcool. Les nombreux skits arrivant en fin de piste créent cette cohésion, le fil conducteur de l’histoire de Kendrick Lamar. Sinon, il y a ces photos de famille qui remplissent les pages du livret.

Les associations d’idées aboutissent à des résultats surprenants. Prenez le morceau « Poetic Justice » (featuring Drake), qui fait écho à « Sherane ». Il sample dessus le superbe slow r&b « Anytime, Anyplace » de Janet Jackson, qui figure dans le film Poetic Justice aux côtés d’un certain Tupac Shakur, une des idoles de Kendrick. L’apparition du dinosaure du gangsta-rap MC Eiht sur le morceau new school/old school « m.A.A.d. City » est une forme de passation avec le jeune Kendrick pour représenter Compton. On notera l’apparition de Jay Rock, un de ses acolytes du Black Hippy, sur l’excellent « Money Trees ». Dans des associations beaucoup plus libres, le « Backseat Freestyle » est jouissif. Pas un banal égotrip, mais un bon gros délire je-m’en-foutiste avec un beat hypnotique bien carabiné et bassy signé Hit-Boy.

En ce qui concerne l’état de l’art, Kendrick fait des merveilles avec ses changements de voix, d’octave, de flow. Il impose son débit avec naturel et pose des rimes en rythme. On a envie de chanter ses refrains avec lui et d’apprendre ses lyrics par cœur. Que demander de mieux ? Concernant les prods, l’atmosphère n’est pas que westcoast, ce stade est largement dépassé, comme lorsque l’instru de Pharrell Williams prend une tournure jazzy sur « Good Kid ». Ce parce que Kendrick Lamar fait les choses comme il le sent. Cette nécessité de libre créativité s’exprime sur le titre – très smooth soit dit en passant – « Bitch Don’t Kill My Vibe ». Pour votre information, Lady Gaga, qui est une fan du jeune rappeur (ce qui a fait la une des websites), avait enregistré une démo pour ce morceau mais le timing n’a pas permis de le valider. La touche de Dr Dre se fait sentir sur quelques titres, dont « Sherane », « Bitch Don’t Kill My Vibe » justement (avec ces violons qui apparaissent magiquement), « Good Kid » et bien évidemment le titre final « Compton » sur lequel il figure. Avec en touche final de ce beat triomphant et cuivré signé Just Blaze (enregistré dans le mythique studio Encore), une petite outro au vocoder pour le style et c’est franchement du plus bel effet.

La grande question qui intéresse tout le monde : est-ce qu’il est question d’un classique instantané ? Dans ses interviews, l’intéressé préconise de laisser le temps y répondre. C’est la meilleure des réponses. Voilà une belle leçon de modestie que d’autres rappeurs devraient apprendre. Kendrick Lamar n’est pas un personnage, il est ni un thug, un gangsta-rapper, ni un prétendu génie, c’est un individu entier guidé par son propre talent, une bonne étoile, une équipe motivée, un crew de quatre fantastiques, et certes un médecin de très haute renommée. Après des Rakim, Nas, Biggie, 2Pac, Jay-Z, Andre3000, Eminem, 50 Cent ou encore Lupe Fiasco, il fait partie désormais de ces esprits brillants qui élèvent la musique rap.

Paragraphe bonus

L’intérêt principal de l’édition Deluxe de Good Kid, m.A.A.d. City est bien évidemment la présence du superbe single « The Recipe » feat (et mixé par) Dr Dre et produit par Scoop DeVille. Il paraît indispensable d’avoir ce morceau. Le second titre s’agit de « Black Boy Fly » instrumentalisé par Dawaun Parker, un des associés du docteur. Cette prod a un petit air familier qui rappelle le style d’Eminem. Dessus, Kendrick révèle combien il était jaloux de The Game, mais rien de bien méchant. Le troisième et dernier titre bonus est « Now or Never » (produit par Jack Splash), une chanson dans une veine r&b old school où Mary J Blige est dans son élément. Kendrick moins… On comprend mieux pourquoi ces deux derniers tracks ne figuraient pas dans l’édition standard, ils n’ont pas leur place dans le storytelling et leur vibe diffère. De bonne facture quoi qu’il en soit.

6 commentaires Ajouter un commentaire

  1. gladius9 dit :

    Tiens, si ça t’intéresse, tu peux voir mon avis sur la question :
    http://fp.nightfall.fr/index.php?idchoix=5836

    Je serais curieux d’entendre ta réaction!

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    1. Sagittarius dit :

      c’est plus synthétique que chez moi mais c’est pas mal écrit (j’aime bien les infos dans la colonne de droite aussi)

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  2. Janet dit :

    …franchemen m^me moi qui n’écoute que des artistes rap super indé j’ai succombé à cet album après avoir lu une chronique c’est une pure tuerie et pour la peine je l’offrirais bien à mon grand frère qui m’a fait découvrir le hip hop y a près de 20 ans de çà belle chronique en tout cas Mr!!!toujours bien rédigé tes chroniques!!!on sent le passioné et c’est bien!!!

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  3. Alain dit :

    Belle chronique, je comprends mieux pourquoi tu as attendu pour la publier, en tout cas superbe album, probablement le meilleur album rap 2012.

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  4. JooBo dit :

    Rien à dire, je pense que tout à été dit sur cet album. On tient sûrement l’album de 2012.
    Ma track préférée c’est quand même m.A.A.d City et on pourra dire ce que l’on veut mais MC Eiht est meilleur que Lamar sur ce son, en même temps le salaud a plus de 20 ans de rap derrière lui. Sinon l’album est une tuerie absolument et se vit comme un véritable film, c’est pourquoi les skit sont très importants ;)

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  5. Rémy Brunet dit :

    Excellente chronique à la hauteur de l’album. J’imagine le plaisir que tu as pris en la rédigeant. Kendrick a donné tout ce qu’il a pu. Et n’est-ce pas Snoop Dogg ( sur AOPP) et André 3000 (sur Compton) qui nous gratifient de véritables nanoparticipations ?

    De façon plus générale je te remercie pour le travail que tu accomplis. J’ai découvert et découvre une pléthore d’artistes.

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