Quelle fut ma réjouissance d’apprendre l’arrivée d’un quatrième album des Cunninlynguists. Mais j’avoue qu’une appréhension me guettait de près quelques jours avant sa date de naissance officielle (prématurée par les internautes), surtout que cet opus fait suite à trois classiques underground consécutifs, dont leur fabuleux chef d’œuvre A Piece of Strange. Je n’attendais donc pas Dirty Acres de pied ferme, honnêtement, plutôt comme un opus qui me procurerait beaucoup de plaisir à l’écouter sans nécessairement en jouir indéfiniment.
La copie de l’album une fois entre mes mains, l’écoute se révèle déroutante. D’habitude, c’est le signe précurseur d’un futur grand disque, mais je suis désolé, je n’arrive pas à me défaire de A Piece of Strange, à ne pas éviter de comparer Dirty Acres à son prédécesseur que je magnifie tant par sa beauté. C’est comme si le jardin d’Eden dans lequel les Cunninlyguists nous avaient fait mettre le pied avait fini en cendres, l’herbe desséchée et une végétation brûlée dont il ne reste que les troncs d’arbre et les branches calcinées. Le coup de Blues de l’Automne 2007.
Je ne sais pas trop par quoi commencer, par l’introduction de Big Rube, le slammeur de la Dungeon Family, ou de leur extrait « KKKY? », le tout premier vidéoclip de la formation ? Le point commun entre les ces deux pistes est l’état actuel des tensions raciales qui ressurgissent dans les pages socio-politiques des Etats du Sud. Deacon The Villain, Natty et Kno viennent de Lexington, dans le Kentucky (KY), une contrée située dans l’Amérique profonde où les fantomatiques membres secrets du Ku-Klux Klan (KKK) poursuivent leur propagande raciste, d’où le titre de cette chanson. La pochette de Dirty Acres rappelle celle de Stankonia des Outkast sur un détail en particulier : le drapeau américain en Noir et Blanc. Car aux ‘stases unies’, pays bipolaire par excellence, il n’y a pas de places pour les métis dans certaines mentalités solidement raffermies depuis la traite des esclaves africains : tu es soit noir, soit blanc. La ségrégation raciale n’a pas été encore abolie des consciences de quelques régions d’Amérique du Nord.
Cet album est bien plus hétérogène que ce à quoi ils nous ont habitué auparavant. On y retrouve des éléments décoratifs de A Piece of Strange, cette ambiance fortement bluesy et gospel (comme c’est le cas de « Valley of Death ») qui nous plonge dans les abysses de l’amertume et du désespoir à la splendeur ineffable, avec des tendances soulfuls marquées, tel que sur « Wonderful » avec Devin the Dude ou le très cool « Yellow Lines » en compagnie de Phonte Colemon des Little Brother et Witchdoctor, membre discret de la Dungeon Family. Entre le jazzy « The Park » emmené par le pianiste Chizuko Yoshihiro, « Mexico » avec Club Dub et le profondément nostalgique « Georgia », je ne sais pas trop sur quel pied danser. Les Cunninlynguists offrent des productions, parfois acoustiques, aussi diversifiées qu’envoûtantes, dont il n’est pas simple de transiter.
De ce que je me souvienne encore de ce disque, ce fut la semi-déception naturellement justifiée par quelque chose qui ne correspond pas entièrement à mon attente. Malgré le fait que Dirty Acres ne crée pas l’exploit d’atteindre la magnificence du référientiel A Piece Of Strange, ce nouvel LP de qualité proposé par les Cunninlynguists est à n’en point douter une des meilleurs sorties underground de l’année 2007.
(chronique écrite le 27 Juillet 2008)
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