Aesop Rock fait partie de ces indie MCs singuliers se mouvant dans leur propre espace de création. Cela faisait quatre longues années que cet artiste très estimé dans le circuit underground n’avait pas livré un album, ne laissant que son EP Fast Cars, Danger, Fire and Knives en 2005, année de son mariage. On devine par conséquent que les événements de sa vie privée ont un temps soit peu pris l’ascendant sur sa carrière musicale, comme son déménagement à San Francisco, laissant derrière lui ses quartiers de Long Island qu’il représentait. Aesop revient début 2007 en collaboration avec la firme MacIntosh, pour qui il leur concède un long instrumental qui servira à la campagne Nike+iPod. Cette exposition était pour lui une plateforme de lancement pour son cinquième LP, None Shall Pass, paru chez Def Jux, écurie new-yorkaise du hip-hop alternatif par excellence.
À l’image de la toile abstraite imprimée sur la pochette, Aesop Rock cultive un hip-hop abstrait, un peu comme de l’abstract mais avec du rap en plus. On distingue à la production des techniciens du genre, tels que la signature de chez Ninja Tune Blockhead, Rob Sonic sur le grave « Dark Heart News » et l’exceptionnel El-P sur l’électrifiant « Gun For The Whole Family », sans oublier DJ Big Wiz, omniprésent aux scratches. L’ambiance de ce disque est absolument unique en son genre (de toute façon personne n’est prêt de pouvoir l’imiter), oscillant harmonieusement entre musiques de films, vibe trip-hop, jazz et rock avec une once de synthétiseurs. Dans cette cohérence sidérante dans sa vue d’ensemble, aucune des chansons ne ressemble à une autre sur cette oeuvre, chacune est une pièce originale, rien de comparable avec ce qu’il se fait couramment en hip-hop indé, sauf si vous être un habitué de la maison Def Jux. On pense à Cage bien sûr, reconnaissable à son flow persifleur sur « Getaway Cars ». Celui d’Aesop Rock possède aussi un quelque chose au niveau de l’articulation et un débit variable qui font qu’il a un phrasé difficile à cerner, capable de le booster sur le « Coffee » bien corsé.
S’écouter None Shall Pass est un peu comme traverser une galerie d’art hip-hop, où l’on passe son temps à regarder une à une les quatorze toiles présentées. La patte de leur auteur ressort dans chacune d’entre elles, ainsi que celle des collaborateurs d’Aesop Rock, et chacun ira de son impression personnelle, en fonction de ses goûts personnels et de ses sensibilités. Une belle curiosité qui se transforme en belle claque, innovante et travaillée sur tous les plans. Chapeau l’artiste.