On ne va pas trop trop s’attarder sur cette petite histoire que tout le monde connait, celle de Marshall Mathers, alias Eminem, ce blanc-bec, blond aux yeux bleus, faux-blond en plus. Il suffit de regarder son film autobiographique. Le suite que personne ne verra sur grand écran dit que Dr Dre a trouvé sa mixtape (en format K7) de The Slim Shady EP dans les bureaux d’Interscope et a appuyé sur ‘play’, un coup de folie probablement. Et voilà comment ce misérable MC de Detroit a terminé signé sur le label de Dr Dre, Aftermath Records. Celle de Dre d’histoire est plus intéressante à l’époque de cette drôle de rencontre. Il faut dire qu’en 1999 le label inscrivait dans sa discographie deux bides : la compilation ‘Dr Dre presents the Aftermath‘ et celui de ‘The Firm‘, super-groupe formé de Nas, Foxy Brown, Nature et AZ.
La signature d’Eminem est venue à point nommé pour relancer la machine, alors que Dre allait soigner le petit malade. Après quelques séances de studiothérapie, ‘The Slim Shady LP‘ allait déranger le monde entier. Une incontrôlable bête noire sortie tout droit de 8 Mile allait très vite causer des ennuis. Et sauver Aftermath Records !
Rétrospective écrite en 2004 revue en 2016
Malade oui, c’est le mot! Quand son alter-ego Slim Shady fait surface, Eminem se transforme en un véritable diablotin. Avec son premier tube « Hi, My Name Is » et son instrumental délirant, on observe avec fascination les soucis de personnalité du bonhomme de 26 ans: schizo, cynique, indomptable, emmerdeur et limite homophobe… Il crache du venin sur qui il veut avec un flow complètement dingue. La bête était lâchée dans les rues. Eminem est devenu une sorte d’idole rap white-trash en moins de temps qu’il en a fallu pour décrire le phénomène. Avec au final, un statut de rappeur international, presque du jour au lendemain. Et on en n’est qu’au premier single!
Le Slim Shady ne cache pas non plus son dévolu pour les drogues un peu chelous (« My Fault« ), en plus d’en avoir rien à foutre (« Just Don’t Give A Fuck« ). Même son docteur finit par jeter l’éponge sur « Guilty Conscience« : rien à faire, pas moyen de le raisonner, faire le mal c’est bien. Véritable manipulateur d’humour noir, une partie de sa personne tient à rappeller à la jeunesse qu’il n’est pas véritablement un modèle de conduite (la bombe « Role Model« ). De la débilité au génie, il n’y a qu’une fine frontière mais on penchera plutôt pour la seconde option, justifiée par des lyrics travaillés aussi bien sur le fond que sur la forme.
Sur des productions principalement signées par lui-même et le crew des Bass Brothers, le docteur offrant une assistance limitée, Eminem vomit de l’acide sur tout le monde, sur son ex, sur sa mère, sur les politiciens, l’Amérique entière, et même sur le docteur tiens. Par contre, pas touche à sa petite fille, pour qui il concède une chanson assez glauque (« Bonie & Clyde« ), d’où fut inspirée la pochette de l’album. Ni sur son pote de galère le MC Royce Da 5’9 (dont il produira plus tard son premier disque Rock City) sur « Bad Meets Evil », du nom de leur duo qui fournira quinze années après SSLP un EP Hell: The Sequel. Quand il est question de faire la fête, allons-y gaiement pour une petite sauterie sur « Cum On Everybody« , traduisez « jouissons tous ensemble ». On retiendra aussi « Rock Bottom » comme l’un, si ce n’est LE morceau de cet album de fou.
Bref Eminem est une personne complexe et totalement décomplexée, instable et dérangée. ‘Slim Shady LP‘ est un pétage de plomb qui a le mérite d’être très sincère et sombrement ironique. Avec des tripes pareilles, il ne peut en sortir que du meilleur pour parler du pire. Et pourtant… cet album n’est qu’une grosse introduction à son incroyable carrière qui allait dominer tout le début du troisième millénaire, un viol auditif qui pose les bases de sa musique et son univers, notamment avec ses nombreux skits récurrents avec Paul Rosenberg son manager ou son personnage homo Ken Kaniff. Et si Eminem était un cavalier de l’apocalypse de l’an 2000 qui jamais eu lieu?