La signature de Busta Rhymes sur Aftermath Records, le bastion de Dr Dre, a fait un grand boum dans le rap game il y a deux ans. La collaboration étroite entre le légendaire docteur et le MC le plus farfelu de la planète, établie sur ‘Genesis’ en 2001 avec le fracassant « Break Yo Neck », a porté son fruit, un fruit qui a mûrit pendant plus d’un an, un an d’attente (de trop) pour les fans habitués aux sorties annuelles de Busta. 2006 est l’année du phoenix et à Busta d’imploser avec ‘The Big Bang’ (Aftermath/Polydor), son septième album dont le titre inspire une certaine ambiguité : la naissance d’un univers et une grosse bombe sonique. C’est par ailleurs le troisième point de départ, si on peut dire, de la carrière solo de Busta Rhymes, et une seconde renaissance après son divorce d’avec J Records. Bus-a-Bus grossit de façon significative les rangs d’Aftermath/Interscope aux côtés de pointures de haut standing : la dream team Eminem, 50 Cent, Eve et The Game. Une nouvelle maison, un nouveau producteur à la renommée indiscutable et un homme nouveau (il a coupé ses dreads de façon symbolique) qui se veut, la trentaine passée, plus que jamais le leader de la nouvelle école.
Chronique originale écrite le 1er Juillet 2006
Le ‘Big Bang’ a explosé l’Automne dernier grâce au banger terrible et incontournable : « Touch It » produit par Swizz Beatz. Ce morceau au beat basique et amélodique est redoutable dans sa construction binaire, avec un passage ‘get low’ où Busta déballe son flow et ses rimes normalement par dessus des grosses basses avant de s’écrier avec toute la verve qu’on lui connait après un ‘turn it up’ sur un rythme qui claque. Et la boucle tourne ainsi de suite sur un refrain hypnotique inspiré de « Technologic » des électroniciens français Daft Punk. En tant que centre attracteur, le remix a fait beaucoup de bruit avec les participations massives de Lloyd Banks, Mary J Blige (et son alter-ego Brooke), Papoose, DMX, Rah Digga, Missy Elliott et même le chanteur Ne-Yo (mais pas dans la version vidéo). Quelques autres étoiles sont venues graviter autour du ‘Big Bang’ mais ont dévié de leur trajectoire et n’ont pas été retenues dans cette version définitive: « I’ll Hurt You » avec Eminem sur une production signée Scott Storch, « Where’s Yo Money » avec feu ODB, ou encore « Imagine » feat Dr Dre pour cause de problèmes de droits d’auteur. Pas de featuring des membres du Flipmode. Pas dramatique non plus, seul importe ce que Busta Rhymes a dans le ventre.
Dr Dre se trouve derrière les commandes et les tables de mixages, à la production et assiste à la coproduction de certains morceaux histoire d’avoir la main mise sur l’entièreté du ‘Big Bang’, et c’est une très bonne chose. Busta remet les pendules à l’heure sur « Get You Some » qui démarre l’album sans introduction inutile et annonce la couleur : le Doc pose des beats propres et originaux sans être complexes et des instruments hindous inhabituels, Busta possède son flow nerveux caractérique en posant une bride il faut dire, question de maturité sans doute. C’est sur ces même impressions qu’on se laisse envahir par l’entêtant « How We Do It Over Here », rudement efficace, un puissant morceau pour les dancefloors sur lequel Missy Elliott trouve ses répères sur le refrain. Busta reste avant tout un MC Eastcoast et Dre lui a taillé des instrus sur mesure : « Cocaina » et l’impressionnant « Dont Get Carried Away ». Remarque au passage pour remercier Marsha des Floetry. Et bien évidemment, comme à chaque fin d’album de Busta, une chanson bien sombre limite glauque. Pour « Legend of the Fall Offs », Dre a concocté un beat à base de coups de pelles qui creusent pour donner un côté funeste accentué par des notes graves de pianos, Busta Rhymes jouant le rôle du croque-mort.
Heureusement d’ailleurs que le sergent-général du Flipmode Squad fait la part belle à ses origines new-yorkaises. « NY Shit » (prod de DJ Scratch) est addictif à souhait, avec le soutien de Swizz Beatz, permettant à Busta Rhymes de figurer dans le Top 5 des MCs Eastcoast (signés en major). Assurément un des meilleurs morceaux du ‘Big Bang’. Erick Sermon prête main forte à Dr Dre pour produire « Goldmine » avec un Raekwon en super forme (à quand ‘Only Built 4 Cuban Linx II’?), tandis que Nas vient rendre la pareille sur le terrible « Don’t Get Carried Away », c’est monumental. Avec de tels renforts, Busta Rhymes ne peut que se sentir dans un confort et maîtriser son énergie, les featurings portant chacun des titres en question un niveau au dessus. La cerise sur le gâteau, c’est « You Can’t Hold The Torch », dans un pur esprit des Native Tongues grâce à la production du regretté J Dilla (l’une de ses dernières restantes), qui se rapproche de la bonne époque des Soulquarian, et du soutien de Q-Tip des Tribe Called Quest. Comme quoi les vétérans ont encore leur mot à dire et montrent la voix à la nouvelle génération de rappeurs qui ne partent pas forcément dans les bonnes directions.
Vous serez très surpris d’apprendre que la plus belle chanson de cet album est réalisée par Sha Money XL, le producteur attitré des G Unit. Co-produit par Dr Dre, « Been Through The Storm » invite la légende la soul music, Stevie Wonder en personne, sur ce titre où Busta Rhymes semble raconter la vie qui se passe dans les quartiers sous un jour de pluie. Et que dire du final, l’émotion ressentie tellement c’est fantastique. S’ensuit « In The Ghetto », où DJ Green Lantern fait revivre Rick James grâce à son don de sampling exceptionnel. Forcément, impossible de passer à côté de « I Love My Bitch » (où « My Chick » dans la version soft), le second tube de Busta Rhymes. Ce single est produit par Will.i.am, très réclamé en ce moment, et correspond plutôt bien au style de Busta, avec la petite touche de Kelis, notre effrontée favorite. Et si un morceau plus r&b vous tente, « I’ll Do It All » feat LaToya Williams pourra satisfaire certain. La curiosité par contre, c’est encore une fois Timbaland qui l’apporte. Discret par les temps qui courent, il refait doucement son retour aux avant-postes avec des instrumentaux orginaux pour ne pas dire expérimentaux, et s’essait là avec Busta dans un trip jungle, tribal et exotique, et surtout festif (« Get Down »). C’est aussi la première collaboration entre nos deux hommes sur un album du rappeur.
Dix ans après ‘The Coming’, Busta Rhymes est devenu un monstre sacré du Hip Hop, et il enfonce le clou avec ‘The Big Bang’. Moins spectaculaire que prévu, ce relifting artistique orchestré par Dr Dre porte une nouvelle armure autour d’un Busta plus sage et sûr de lui. Les guests sont présents pour apporter un plus de poids sans dénaturer le gros oeuvre. Dre et Busta ont fait du très bon travail ensemble. Ce sera le mot de la fin.