Il était temps que les amateurs de rap Westcoast acceptent une fois pour toute que Snoop Dogg ne concevra jamais un Doggystyle bis (ni une suite à son dernier classique certifié Tha Last Meal), la mode du G Funk appartient au siècle dernier même si des irréductibles la font perdurer localement. Mais Snoop n’a pas attendu l’avis des conservateurs pour poursuivre son évolution artistique. Après avoir joué les boss, il a vétu son costume de pimp en 2004 et scandalisé son fidèle public avec R&G The Masterpiece, à moitié produit par The Neptunes.
Pour Ego Trippin’, le rappeur de Long Beach tenait absolument – au départ – à réaliser un album sans aucun invité, très personnel, produit uniquement par The Neptunes (encore eux) et sur lequel il pourrait faire trembler sa luette comme il le sentait. Une démarche audacieuse, pour ne pas dire inquiétante, carrément à l’opposé de son Blue Carpet Treatment, un produit gangsta rap featuring la côte ouest au complet (Ice Cube, Dogg Pound, Nate Dogg, Soopafly, E-40, MC Eiht, etc…), plus des grands noms rap/r&b en tout genre (avec entre autre R Kelly, Akon, Jamie Foxx, D’Angelo, Stevie Wonder, Damian Marley et Raul Midon) et produit par les grands noms de la production (son mentor Dr Dre, Timbaland, Pharrell, Rick Rock et j’en passe).
À l’arrivée, le résultat n’a rien à voir avec ce qui était convenu initialement : quatre artistes (minimum) se sont greffés à ce projet supervisé par QDT Muzik… QDT ? kézako ? L’acronyme de Quik/Dogg/Teddy, plus précisément le trio inédit formé de Snoop donc, l’illustre producteur Westcoast DJ Quik (au mix et mastering de cet opus) et un Teddy Riley sur le retour, la légende urbaine qui a inventé le New Jack à la fin des années 80 et produit le Dangerous de Michael Jackson.
Passé la charmante introduction « A Word Witchya ! », Quik offre d’entrée du très gros son avec « Press Play », geste qu’on s’est empressé de faire pour découvrir le résultat. La prod est vraiment énorme, très étoffée, dans un style qu’on ne lui connaissait pas jusque-là, et c’est plaisant aussi d’entendre Kurupt sur le refrain et faire des ad-libs. Le titre de cette track rappelle évidemment l’intitulé de l’album de Diddy, avec qui Snoop a réalisé une tournée triomphale partout dans le monde en 2007.
C’est à partir de la 3e piste que Teddy Riley sort le grand jeu avec « SD Is Out », avec une production semblable à un certain « Drop It Like It’s Hot » de ses ex-protégés les Neptunes : de grosses basses étouffées, claquement de doigts et un flow posé quoique monocorde de Snoop. Quel pied d’entendre Teddy chanter au talk-box sur le refrain en compagnie de Charlie Wilson ! Belote avec « Gangsta Like Me », un beat novateur typique du style de TR, entre sonorités hindoues et restes de new-jack, agrémenté de soupirs féminins pour donner un côté suggestif aux propos du chien en rut lorsqu’il cause des garces aimant les mauvais garçons. Le homie Jamie Foxx s’invite discrètement dans cette sauterie à la fin du morceau. Puis rebelote avec « Let It Out », le morceau réglementaire sur la fumette dont il est difficile de discerner les influences folklo-funk-rock avec à nouveau Teddy qui s’occupe du refrain avec sa boîte magique. Dommage que le titre soit de courte durée (moins de trois minutes) mais le super-producteur se rattrape haut la main avec cette association de luxe avec DJ Quik pour confectionner « Those Girlz », un morceau laid-back et soulful à souhait.
Il est vrai que le choix de « Sexual Eruption » (ou « Sensual Seduction » dans sa version soft) comme premier single était pour le moins… surprenant ! Ce tube produit par Shawty Redd demeure un brillant hommage à la musique funk des 70s et 80s, particulièrement au regretté Roger Troutman lorsque Snoop use du talk-box à son tour. D’ailleurs, cette chanson néorétro exaltante nous permet de dissiper cette peur d’entendre Snoop Dogg chanter, d’autant plus qu’il lâche un flow inédit sur son couplet final. Et ce n’est pas fini pour les surprises : une reprise de « Cool », le hit p-funk du groupe Time ! À l’écoute de ce lifting audio, les claviers de Teddy Riley semblent s’être directement inspirés de Prince, normal puisqu’il est le compositeur original de cette chanson (pour l’anecdote). Au diable l’anachronisme, l’énergie et le rythme de « Cool » nous entraînent sans broncher dans une ambiance de folie. C’est fou à entendre mais ce n’est pas la première fois que le Dogg se lance dans la Funk proprement dite. Certains se souviennent de sa réinterprétation de « We Want Tha Funk » de George Clinton sur la BO d’Undercover Brother en 2002.
Et que dire du Snoop en mode country sur le swinguant « My Medecine », une dédicace à l’icône du genre, Johnny Cash, qu’il réalise avec brio avec Whitey Ford d’Everlast à la guitare. Revenons-en au rap pour son second single officiel « Life Of Da Party ». Ce n’est pas la gangsta party annoncée mais notre rappeur convie deux figures de la Bay Area, le pimp Too Short pour l’ancienne génération et le petit nouveau Mistah FAB. Pour ne pas faire les choses à moitié, Snoop balance un son Hyphy sur « Staxx in my Jeans » (produit par Rick Rock) sur laquelle il réalise une excellente performance en utilisant des flows différents entre chaque refrains ‘screwed and choped’.
Dans ce regroupement de 21 titres tous aussi différents les uns que les autres, les tracks suivant la tendance ‘rap neofunk’ – pourrait-on appeler – telles que « Whateva U Do » et « Been Around The World » (celle-ci démontrant les progrès significatifs de Snoop Dogg A.K.A. Niggaracci et Terrace Martin à la production), garantissent la cohésion de cet album. Mais cette hétérogénéité est difficilement exemptée de points négatifs, à commencer par la seule collaboration avec The Neptunes sur le hit street « Sets Up », dont le refrain accrocheur de Pharrell Williams ne parvient pas à faire oublier un instrumental équivoque de leur part.
L’apport fourni par le chanteur/compositeur/musicien Raphael Saadiq déçoit, tout comme les textes cucul-la-praline du Snoop fleur bleue qu’on déteste écouter. D’ailleurs leur titre porte bien son nom (« Waste of Time »). Le pire, c’est qu’il remet ça avec « Why Did You Leave Me » sur un sample très laid exploité par Polow Da Don, finissant par nous achever avec le refrain de Chilly Chill, un clone d’Akon à la voix de canard.
Et puis, à force de s’essayer dans divers sous-genres de rap, Snoop Dogg finit par commettre une erreur de parcours en tentant sa chance dans la trap music : « Ridin’ In My Chevy » est un gros raté péchant de surcroît par un flow approximatif et un mastering douteux.
La patte de Snoop reste quand même ponctuellement marquée sur Ego Trippin’, et les puristes nostalgiques (pléonasme) apprécieront sans doute l’introspectif « Neva Have 2 Wurry » (avec l’oncle Chucc sur le superbe refrain), sur lequel il retrace sa discographie et tumultueuse carrière pour devenir le « géant qu’il est aujourd’hui ». L’écriture de ce morceau est irréprochable, ceci grâce au ghostwriting d’un MC de Compton surnommé Problem.
« Deez Hollywood Night » est le petit délire funky 70s signé Nottz, dans laquelle Snoop Dogg nous plonge dans le monde fringuant d’Hollywood by night. Attention aux miaulements aguicheurs des tigresses qui croisent son chemin.
Du charisme, il n’en a pas perdu une once surtout lorsqu’il joue les crooners sur le laid-back « One Chance (Make It Good) », mais Snoop nous réserve sa plus belle chanson pour la fin : le poignant « Can’t Say Good Bye ». Le soliste du Gap Band, Charlie Wilson, assure le refrain pour ce qui n’est qu’un au-revoir de la part de notre rappeur, accompagné par une magnifique mélodie de piano qui évoque indéniablement « Change » de 2Pac. Sortez vos mouchoirs !
Chaque album de Snoop Dogg décrit une évolution artistique et le franchissement une étape dans sa carrière, mais Ego Trippin’ marque définitivement une progression nette allant bien au-delà du carcan rap habituel et tranche véritablement avec tout le reste de sa discographie. La première écoute est déroutante, les suivantes permettent au fur et à mesure de rentrer dans son délire perso, puisque c’est le thème de cet opus.
L’innovation est le point fort de ce 9e album d’un Snoop ni gangsta, ni pimp, celui d’un genre nouveau. Teddy Riley et DJ Quik ont tous deux été exemplaires à la réalisation d’Ego Trippin’, en créant une sorte d’hybride ultramoderne et vintage à la fois entre rap et p-funk, avec un coup de country par-ci, des morceaux Hyphy par-là… Les réfractaires qui n’apprécient pas ce Snoop Dogg funky n’ont qu’à se réécouter ses anciens disques.