Comme tout le monde sait, la vie de Kanye West a rencontré des moments difficiles l’année dernière. Durant sa triomphante tournée internationale Glow In The Dark, il perd sa mère Donda West à cause de complications durant une opération chirurgicale. Ceux qui ont été le voir à son concert parisien ont pu le voir pleurer en live. Quelques semaines après, on apprend qu’il s’est séparé de sa fiancée Alexis Phifer. Kanye a le cœur déchiré de toute part et sa seule manière pour lui de guérir est d’extérioriser au travers de la musique.
Et il craque… pour l’autotune et enregistre (à l’arrache) en deux semaines à Hawaï, 808s & Heartbreak, un album très personnel sur lequel il déverse sans sanglot sa vie sentimentale. Moi-même je ne supporte pas trop l’abus d’autotune, il aurait mieux fait à ce compte-là de nommer son disque Autotune & Heartbreak. Ce quatrième album de Mister West constitue une (anomalie) gageure au sein de la matrice du rap game, car il n’est ni rap, ni r&b. C’est de la cyberpop en d’autres termes, à défaut d’être un trip pop « robotuné ».
Kanye West ne sait pas chanter, alors comme ses potes T-Pain et Lil Wayne, il trafique sa voix avec cette évolution du vocoder utilisé d’habitude dans les studios pour les gens qui chantent comme des casseroles. C’est sa lubie du moment, qu’on le veuille ou non, on doit subir ça. Je respecte entièrement le choix artistique de Kanye, qui suit une évolution à contre-courant par rapport à ce qu’il a fait précédemment. Il nous montre un tout autre visage de sa musique. Et dire qu’il voulait devenir le meilleur rappeur de sa génération, c’est totalement absurde comme démarche. Je ne comprends pas trop ce qui lui est passé par la tête. C’est un peu dans la continuité de « Stronger » mais dans un registre beaucoup plus romantique et tristement mélancolique.
Sûr que « Love Lockdown » a complètement (perdu) surpris le public, en mêlant autotune donc avec des percussions tribales. Ses fans de la première heure dont je fais partie étaient interloqués et aussi paumés que lui dans cette période d’errance. Paraît-il qu’il a enregistré cette chanson quelques heures à peine avant sa grandiose prestation aux MTV Video Music Awards, on peut tout de même applaudir ou le huer de toute nos forces pour avoir commis cette infamie. Son couplet sur « Put On » nous avait mis la puce à l’oreille concernant ce gadget à la mode qu’est l’autotune (et malheureusement pour nous, il en a fait tout un album pour faire exprès de nous casser les oreilles), et ce single confirme cette tendance avant que Kanye le précise dans ses conférences de presse.
La boîte à rythme 808 est aussi furieusement à la mode dans les contrées sudistes, tout comme les sonorités très 80s que l’on peut retrouver sur « Paranoïd », le seul morceau (gay) gai de 808s & Heartbreak. Kanye West a toujours eu un faible pour la mode,( une vraie fashion victim qui s’assume avec son pseudo de Louis Vuitton Don), et cet album est des plus créatifs qui soit, mais archi pas innovant car il ne fait qu’utiliser des outils technologiques et des machines qui existent depuis belle lurrette. Le seul truc d’innovant dans l’univers de Kanye concernant cet opus, ce sont ses clips géniaux il faut l’avouer. On se demande comment il puise son inspiration pour créer autant d’originalités.
La moitié des titres ont été leakés sur le net ce qui a gâché l’effet de surprise, quel dommage. Rien d’étonnant franchement, ça ne nous a fait que nous résigner un peu plus à chaque nouvel extrait en écoute. Pour des questions marketing, 808s & Heartbreak est sorti juste avant Thanksgiving, parce que ce disque est la farce dans la grosse dinde. Si « Love Lockdown » et « Heartless » ont donné la température superméga-tiède du disque, c’est le (trop) long down-tempo « Say You Will » qui annonce réellement les couleurs (délavées). Deux notes de synthés suffisent, un beat léger et une symphonie classique en fond décorent la voix de robot de Kanye West, puis la musique tourne pendant les trois dernières minutes dans le vide, c’est d’une lenteur et d’un ennui… Comment dire, c’est comme si sa vie a semblé soudain dénuée de sens (d’orientation) et qu’il se retrouve exsangue de toute substance. C’est vachement ambigü ce que je dis, c’est volontaire de ma part. « Welcome To Heartbreak » (ce n’est pas le nom d’un hôtel mais du bureau des pleurs) sonne plutôt comme la véritable introduction de l’album, comme le générique d’un film de James Bond qui intervient après un prologue.
Comme je l’ai sous-entendu plus haut, Kanye s’est transformé en une espèce de cyborg, moitié humain, moitié robot, et sa musique s’est métamorphosée avec lui en pop futuriste. C’est (aberrant) sous cette nouvelle apparence stylistique qu’il déballe toutes ses peines et le chagrin qu’il a sur le cœur le long de l’album. On sent qu’il a du mal à se remettre de sa relation avec son ex-copine, il avoue à demi-mot qu’il pense encore à elle. Il fallait à tout prix qu’il se confesse ouvertement, sur son idylle, la perte de mère qui l’a profondément bouleversée et ému le monde entier. On a surtout l’impression qu’il a écouté le dernier Portishead pendant qu’il enregistrait ce disque car on retrouve des rythmiques trip-hop, tribales et triturées comme le « Coldest Winter » (qui sample Tears For Fears), avec pas mal de sonorités électroniques. Et comme le Portishead, c’est lent et léthargique à mort. Sauf pour « Paranoïd », une chanson très sympa et ludique. Parce que tout le reste, on se tourne les pouces en regardant les minutes passer à se demander s’il reste de l’eau chaude pour se prendre une bonne douche parce que là honnêtement il n’a pas inventé l’eau chaude même si ce qu’il a fait est inédit. Il n’y a pas quoi de crier au génie, faut arrêter d’exagérer.
Kanye disait qu’il était plus haut que les montagnes, désormais il est plus seul que jamais sur son nuage avec les jolis zozios. Encore heureux qu’il a laissé de côté sa macotte de nounours sinon l’artwork de la pochette ressemblerait à la présentation de Bonne Nuit Les Petits. Enfin, quand je parle de solitude (d’égoïsme peut-être), pas complètement, car il est suffisamment entouré le Kanye : son mentor No ID (l’ancien producteur de Common), Jeff Bhasker et Plain Pat à la co-production, Consequence et Kid Cudi comme co-auteurs, Mr Hudson et Tony Williams chez les vocalistes et deux rappeurs Dirty South comme featurings, Young Jeezy (qui semble avoir oublié ses pastilles pour la gorge) sur « Amazing » (j’aurais mis « Terrible » à la place) et Lil Wayne qui fait aussi joujou avec l’autotune comme un gamin avec son micro PlaySkool sur « See You In My Nightmare », un véritable cauchemar pour les puristes hip-hop.
Rarement a-t-on entendu un album de rappeur aussi renversant et inventif, on (regrette l’époque de College Dropout et Late Registration) attend de savoir ce qu’il nous réserve pour la suite à moins que ce 4e album ne soit (qu’une erreur de trajectoire) qu’une parenthèse thérapeutique. Et pour finir 808s & Heartbreak avec (un gag) une démonstration de son talent, une improvisation en live avec l’autotune avec « Pinnocchio Freestyle ». Perso quand je me rappelle avoir écrit qu’il était le futur du hip-hop, j’en ai mal au coeur.


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