Dehors c’est le désert urbain, 35°C à l’ombre et ciel bleu-gris pollution, ici à l’intérieur, c’est la fournaise. Il fait accablant sous les toits l’été. Il y règne une atmosphère chaude et sèche, lourde dans l’appartement, où le frigo et la douche sont les uniques oasis de fraîcheur et d’humidité. Les fenêtres grandes ouvertes, volets en plastique rabattus à moitié pour se protéger des rayons lumineux calorifères, pas d’effet de serre mais pas d’air circule dans la pièce, hormis un vent chaud brassé par le ventilo pour ne pas éprouver d’insuffisance respiratoire. Ce n’est pas la canicule non plus, mais des après-midis à rêvasser de climatisation, de Mister Freeze, d’expédition en Antarctique et de vacances au Touquet, on a à peu près tous connu ça quand on vit reclus dans une pièce sombre. Pour ma part, j’ai découvert une solution plus efficace que les bonbons Tic Tac pour me glacer le sang en quelques minutes. Au début de cet été est sorti chez Babygrande Black Snow, la seconde salve des Snowgoons. J’insère le disque dans ma mini-chaîne et il se passe instantanément une sorte de phénomène paranormal. La radio m’annonce un avis de tempête venant d’Allemagne. Une masse nuageuse noire menaçante s’approche de ma ville soudain plongée dans l’obscurité et des températures négatives. Les volets vibrent à cause des violentes bourrasques de vent et en refermant les fenêtres, j’aperçois des flocons recouvrir les habitations et les rues d’une épaisse couche noirâtre.
« The Curse » (feat King Magnetic, Charon Don, Sicknature & Reef The Lost Cauze) est le signe avant-coureur de cette malédiction, celle-là même annonçant le retour des bonshommes cagoulés DJ Illegal, Det, le scratcheur DJ Waxwork et Thor un an après German Lugers. Le déluge démarre par de la musique classique des plus angoissantes, tel un thriller fantastique se déroulant en plein milieu de la 3e Guerre Mondiale. Cette première attaque météorologique venant des fronts est et ouest n’était que le prélude de « Black Snow ». Coup de tonnerre ou bruit d’explosion ? Nul ne le sait. Je préfère rester barricadé chez moi face au dérèglement climatique surnaturel provoqué par Ill Bill et Apathy. Une horde de MCs sortis de l’underground ont débarqué dans la ville pour tout piller sur leur passage et dévaliser les magasins, brûler les voitures bloquées par la neige noire. De mes jumelles, on aurait dit les Jedi Mind Tricks et des combattants de l’Army of Pharaohs mais je ne repère pas leur chef Vinnie Paz, juste la bande de Snowgoons et une troupe de dangereux criminels verbaux couverts de suie envahissant les trottoirs, ainsi que des groupuscules connus des services secrets (dont les Outerspace et Smif-N-Wessun). Le temps d’un radoucissement de la température extérieure, j’ose m’aventurer du regard (et de l’ouïe) sur les pistes sombrement verglacées par la pluie cendrée de « Still Water Runs Deep » (feat Supastition), « Raining » (feat Brainstorm, Edo G et Jaysaun de la Special Teamz) et « The Storm » (feat Boom Bap Project). La noirceur opaque des nébulosités empêche tout rayon de lumière de filtrer au travers du ciel, même lorsque Viro The Virus répand « Starlight ». J’ai l’impression de vivre un enfer hivernal apocalyptique.
Il m’est impossible de distinguer ce qu’il passe au-delà de 200 mètres depuis ma position, me sentant à la fois terrorisé et en sécurité au dernier étage, témoin du mal qui sévit en bas. Une brume pâteuse empêche de discerner les événements qui se déroulent, mais je peux entendre tous ces dangereux individus rapper sur des instrus diaboliquement symphoniques à la germano-AOTP, agissant principalement en faction pour un « Hold Up » (feat R.A. The Rugged Man armé jusqu’aux dents, Lord Lhus & Savage) le soir de Noël ou alors pour créer l’anarchie (« Incite a Riot » feat King Magnetic & Adlib). Ce n’est pas le soulful « Pay Attention » (feat Decay, Astonish & Scheme) qui va calmer les choses. Il se forme des combinaisons mortelles prêtes à brutaliser la population paniquée courant dans la tempête de neige qui s’abat, comme les Smif-N-Wessun et Respect Tha God sur « Casualties of War » (comme le dernier album du Boot Camp), Killah Priest, Rasul Allah et Richard Saw avec « Serve Justice » et surtout les artisans armuriers Main Flow, Godilla, El Da Sensei et J.Sands sur « Still Got The Ammo ». Même l’église est mise à sac par Cynic, Sick Jacken et Barcardi si je me fie à la terrifiante mélodie d’orgue de « Sick Life ». Alors que d’abondantes chutes de neiges retombent sans discontinuer, Pace Won, Nervous Wreck et Adlib viennent dynamiter les pentes sombrement enneigées pour dévaster les rues en contrebas (« Avalanche Warning »).
Pas le temps de dire ouf, sauf après avoir vécu l’expérience traumatisante de ces 21 bombes sinistres. Black Snow des Snowgoons m’a donné des sueurs froides et la chair de poule. Certes, j’ai déjà traversé des épopées similaires venues de chez les Jedi Mind Tricks et ses sbires, mais on finit toujours avec des traces de blessures de guerre et des cauchemars dont on ne peut s’habituer avec ce genre d’album.
Mieux produit, toujours aussi cohérent dans l’ensemble même si au final le produit est peut être un peu trop compact, mais on va pas se plaindre auprès des Snowgoons d’avoir rempli la galette au risque de faire une overdose.
C’est selon l’humeur, si les premières tracks passent pas, c’est qu’il vaut mieux se passer une galette soulfull mou du genou, sinon on passe en moide « furie » et kiffe de bout en large.
Ca mérite allègrement son 4/5.
J’aimeJ’aime