Comme Amy Winehouse, Ghostface Killah part en cure, mais une cure un peu spéciale : une cure d’oseille. En réalité, The Big Doe Rehab narre l’histoire d’un rêve de grandeur, celle d’un mec de la banlieue de Staten Island qui possède le temps d’un séjour surréaliste le succès et la célébrité, les liasses de billets verts, les nanas canons,… Imaginez le glorieux délire. Triple chaînes en or autour du cou, poing américain ‘Ghost’ en diamant incrusté, costar blanc immaculé, parka en fourrure, bref la panoplie vestimentaire est des plus clinquantes. L’épate rejoint l’égo lorsque Ghostface se permet de faire décaler la sortie de 8 Diagrams du Wu-Tang Clan qu’il juge merdique. Grosse tête, publicité, coup de gueule ou affaire de goût ? Personne ne sait vraiment. Pendant tout ce remue-ménage, le légendaire Kid Capri ouvre les hostilités avec « We Celebrate », une ôde au Hip Hop festif en reprenant une boucle ultra-connue des Rare Earth.
Niveau production, les beats street bien lourds sur fond de samples soulfuls sont pour la plupart signés Sean C & LV alias The Hitmen, les principaux maîtres d’œuvre d’American Gangsta de Jay-Z. Voyez là une indication à propos de l’ambiance générale de l’opus. Ce choix de producteurs prend à contresens les raffinés de FishScale et More Fish (tous deux réalisés par entre autre MF Doom, Madlib, Pete Rock, J Dilla,…) et reflète parfaitement la philosophie de cet album : un son Hip Hop new-yorkais de haute qualité, brut de décoffrage et classe à la fois, à l’image de la personnalité de Ghostface. On surprend d’ailleurs une nouvelle fois ce personnage charismatique rapper par-dessus des vieux classiques de soul music comme sur ce « Supa GFK » qui nous en met plein la vue et les oreilles. Et pour pousser l’égotrip à son paroxysme, notre chouchou des critiques va jusqu’à se prendre pour un personnage important en faisant le reportage de sa propre cérémonie de récompenses sur « White Linen Affair (Toney Awards) » (feat Shawn Wigs). La classe internationale on vous dit.
Big Doe Rehab change momentanément d’atmosphère en fonction des différentes facettes que nous montre Ghostface Killah : des fois il prend son alias Tony Stark lorsqu’il s’entoure de Styles P et Beanie Sigel sur le tonitruant « Tony Sigel A.K.A. The Barrel Brothers », ou revêt son masque de hockeyeur pour jouer les bracos dans « Yapp City » (feat Trife Da Dog et son rejeton Sun God). Pour ses anecdotes glauques, ses contes de coin de rue et histoires de drogue, le tout avec une haute teneur en lyricisme, son partenaire de rime Raekwon le rejoint sur les superbes « Yolanda’s House », « Paisley Darts », « Shakey Dog featuring Lolita » et le terrible « Rec-Room Therapy », amenant avec lui un Method Man affamé, puis U-God, Cappadonna, Masta Killa… Car malgré le fait que le Ghost lave son linge sale en public concernant l’album du Wu par des déclarations parfois provocantes, il consolide ses liens et maintient ses valeurs familiales avec les membres du Wu-Tang ainsi que son crew le Theodore Unit. Après tout, la maille est faite pour en faire profiter son entourage. Son franc-parler ne lui fait pas défaut, même lorsqu’il aborde les femmes sur le slow-jam « I’ll Die For You » et les bonus tracks de luxe « Killa Lipstick » (bien que la voix féminine en fond finit par devenir insupportable) et « Slow Down » avec Chrisette Michelle.
Quoiqu’il en soit, Ghostface Killah a laissé une mallette remplie de dollars comme dépôt de garantie, celle de la satisfaction de sa clientèle suprême. Ce Big Doe Rehab nous choie confortablement dans ses rêves de rue et de MC superstar, toujours dans son univers caractéristique qui sent la pègre à plein nez.
(chronique écrite le 28 Décembre 2007 pour Rap2K.com)