11 Septembre 2001. Des millions de gens assistaient impuissants à l’effondrement de deux grands monuments new-yorkais en direct à la télévision. C’était le jour de sortie de The Blueprint, malheureusement éclipsé par ces tragiques événements qui ont marqué le monde entier. Personne ne se doutait ce jour-là que ce cinquième album de Jay-Z marquerait autant la musique rap, que ce serait un grand album, celui d’un géant de la Grande Pomme partant en guerre pour le trône de la ville contre un autre monument, l’inébranlable Nas. Comme si les Twin Towers personnifiées se toisaient.
Chronique écrite en 2004 revue en 2016
Cet immense succès d’estime autant que commercial, nous le devons, à Jayhovah bien sûr, mais également à trois producteurs-clés hyper talentueux : le confirmé Just Blaze, le génial Kanye West quand il n’était encore que producteur, et Bink, le joker. Tous trois recrutés après avoir convaincu sur The Dynasty vont permettre à Jay-Z de frôler les sommets qu’il avait déjà atteint avec son premier album et classique Reasonable Doubt, voire les dépasser…
Le premier morceau de l’album annonce clairement la couleur (« The Ruler’s Back« ), le retour de celui que l’on disait déjà bon pour la retraite. Au lieu de cela, il redébarque plus fort avec ce second classique, là pour réguler le rap game avec l’armée Roc A Fella, sappé avec sa propre marque Rocawear. La teinte de The Blueprint est feutrée par de somptueux et nobles samples old school et soulful, de véritables joyaux qui font replonger l’auditeur des ambiances seventies. Et ce qui est fabuleux, c’est que la plupart de ses chansons sont devenus de véritables tubes, tels que « Izzo (H.O.V.A.)« , le premier n°1 de Kanye (sur un sample de « I Got You Back » des Jackson 5), « Ain’t No Love (Heart of the City) » et le soulful « Girls Girls Girls » avec Slick Rick, Q-Tip et Bizmarkie ! Encore une fois un grand merci à la virtuosité des maitres d’œuvre Kanye West et Just Blaze, sans oublier Bink qui livre le splendide « Blueprint (Momma Loves Me)« . Et surtout au maestro Jigga de part la virtuosité légendaire de son flow.
Mais pour donner plus de poids et de hauteur à ce disque, Jay-Z a mis des bottes de 7 lieues, avec un chausse-pied. Vous avez bien compris qu’il va être question du fameux « Takeover« , la violente attaque verbale destinée à Nas, et Prodigy des Mobb Deep qui en prendra pour son grade sur le second couplet (« You little fuck, I got money stacks bigger than you »). Un sample rock des Doors repris par Kanye sur lequel Jigga représente d’abord tout son crew du Roc A Fella en ne manquant de citer personne. Ce morceau est un véritable plateforme lance-missile. Et pour ne pas trop manquer de respect à son rival dont il lui consacre le troisième couplet, il a été ajouté un scratch de KRS-One (repris de « The Bridge Is Over« ) « Watch out, we run New York ! ». Véritablement symbolique puisque c’est sur ce morceau historique que KRS disse tout le QueensBridge via le Juice Crew, et Jay-Z l’a repris pour en faire une véritable arme coupante pour mettre en morceau la discographie de Nas. La carrière de Nasir, et son égo surtout, en prendra un sérieux coup, sans parler des dommages collatéraux. Mais sa revanche viendra…
On pardonnera la petite faiblesse de l’album, « Jigga My Nigga » signée les Trackmasters, froissant un peu le fil conducteur de Blueprint. On peut se permettre d’être pointilleux car l’album est si soigné, chaque détail compte (jusqu’au boîtier bleu et son livret contenant des calques et dessins d’architectes) qu’un minuscule défaut semble gros. Mais aujourd’hui il semble impossible de se séparer ce morceau car il fait de Blueprint le Blueprint qu’on adule tant. Timbaland qui rattrappe le coup en collant un « Hola Hovito » incroyable et unique. Jamais Timbo n’a réalisé une autre variante de cet instrumental. Pour le reste, Jay-Z nous met à genou avec le tiercé « Neva Change« / »Song Cry« / »All I Need« . Une authentique réussite, particulièrement le fantatistique sample de voix de « Song Cry » qui transpire d’émotions. Notre rappeur parvient à chaque moment à se coller au morceau, même sur le surpuissant « U Don’t Know » avec ce sample pitché par Just Blaze. Une des grandes particularité de cet opus solo, c’est l’unique featuring : Eminem, au micro et à la production de « Renegade« . Une fois de plus, une chanson plus qu’une simple collaboration qui restera marquée dans les esprits comme un des meilleurs duos rap des années 2000.
The Blueprint marque définitivement la matûrité artistique de Jay-Z, délaissant son côté ‘bling bling’ au placard pour élever son niveau de jeu, c’est-à-dire faire de véritables albums et non des suites de morceaux très bien agencés comme c’était le cas de sa trilogie ou même The Dynasty. Il est remarquable, souverain. Cet album rap de l’année 2001 est un « must-have » absolu.