Après l’âge d’or du hip-hop, il y a ce qu’on pourrait ce qu’on peut appeler l’âge de platine et 1998 a été une année historique, et pas que pour des raisons footballistiques. Sur le plan rapologique, ce fut un millésime grandiose avec – au hasard – le multi-platine Hard Knock Life de Jay-Z, Soul Survivor de Pete Rock, Doc’s Da Name 2000 de Redman, Aqueminides Outkast, Moment of Truthdes Gangstarr, l’album des Black Star… Et dans la catégorie R&B j’en parle même pas. C’est au milieu de tout ce beau monde, vers la fin de l’année 98, que Timbaland a fait des coudes de sortir son premier album « solo ». Les guillemets sont de rigueur, dans son cas on parle plutôt d’un album-compilation. Mais vu que le disque s’appelle Tim’s Bio, va pour le terme de ‘solo’. Cette année-là, Timbo a été peu productif, il avait bossé sur l’album du groupe r&b masculin Playa Cheers 2 U et quelques titres pour la BO de la comédie Dr Dolittle avec Eddy Murphy, sans doute pour se focaliser sur ce premier disque qui fut un faux-départ pour sa carrière en solitaire.
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Comme pour son précédent album avec l’ami Magoo, Tim’s Bio – Life from da Bassment convie tous les proches du super-producteur en devenir : l’amie Missy Elliott, le groupe Playa (et surtout le chanteur Static), le beau Ginuwine, la divine Aaliyah… Et le pote Magoo, évidemment, comment l’oublier. Timbaland se présente et représente son crew sur « I Get It On », un égotrip sur lequel il s’en prend directement à ses ‘beat biters’ (imitateurs si vous préférez) avec un beat inimitable de sa conception. On retrouve une partie de cette joyeuse bande sur le single « Here We Go ». Après le thème de K2000, Timbaland s’est amusé à sampler celui de Spiderman, sous une forme de rap avant-gardiste et funky. Puis ils reviennent tous dans la seconde moitié du disque, durant le quart d’heure R&B pas si hot, avec tout un enchaînement complet : « Talking on the Phone » (avec la chanteuse Kelly Price), le joueur « Keep It Real » interprété Ginuwine, le fameux « John Blaze » sacralisé par la voix d’Aaliyah et le sulfureux cadeau des Playa pour « Birthday »,… Un très bon moment qui s’achève avec « 3:30 In The Morning » de Virginia Williams avec Missy à l’écriture et aux backs vocaux.
Pour attirer la chalant, un nom qui commence à devenir incontournable dans l’industrie du disque comme Timbaland ne suffit pas, il en faut d’autres avec lui en featuring et le producteur a réalisé un gros coup en étant le premier à réunir Nas et Jay-Z sur un même album, soient les deux futurs prétendants au trône de New-York. Nas pose tôt sur Tim’s Bio, sur « To My », avec un instrumental à base de piano mais loin des sonorités du Queens. Il était dans sa période que plus tard on qualifiait de ‘bling-bling’ (le morceau et terme lancé par BG des Hot Boyz s’est démocratisé l’année suivante) et sa collaboration avec Timbaland se poursuivra sur Nastradamus, avec notamment le single « U Owe Me » avec Ginuwine. Pour Jigga, c’était déjà fait sur Hard Kock Lifesorti deux mois auparavant, avec entre autre la bombe « Nigga What Nigga Who ». Là aussi un titre ‘bling-bling’ servi sur un plateau, « Lobsters & Schrimps ». D’autres rappeurs qui venaient de sortir leurs premiers albums ont eu l’insigne honneur de poser sur un beat de Timbo. Il y a d’abord Mad Skillz, qui avait sorti en 96 le petit classique From Whereavant que soit faite sa réputation de ghostwriter, il faisait pas mal de bruit à cette période. Le rappeur de Virginia pose aux côtés de Nas ainsi que sur « Wit Yo Bad Self », plutôt festif comme son. Le jeune Twista, lui venait de souffler violemment sur Chicago avec Adrenaline Rush (aussi considéré comme un classique) grâce à son flow rapide et très technique, dont il en fait une démo sur « Who U Wit » (qui était l’expression du moment). Très efficace, y a pas à dire. Et, et, et,… Tim’s Bioest un album important pour plein de raisons mais celle-ci est importante : on y découvre la toute première apparition publique de Ludacris avec « Phat Rabbit », qui sera réutilisée plus tard sur Back For The 1st Time. Le rappeur d’Atlanta était déjà chaud, avec son style à la fois sérieux et plein d’humour, tout ce qui faisait de Ludacris le rappeur Ludacris était déjà là.
Des morceaux rap, du r&b et en intermédiaire des cross-overs, l’éventail musical est identique à celui de Welcome To Our World, une démonstration facile de son talent avec des éléments très funky, ces beats syncopés bien bounce et autres bruitages originaux, quelques percussions par ci par là… Et son lot de vrais inconnus dont il est inutile de nommer. Statu quo, pas d’évolution notable de son style, ce premier album marquait un peu comme la fin d’un cycle qui a débuté en 1996. Dans l’ensemble, il est curieux de constater que Tim’s Bio est plus divertissant artistiquement parlant par rapport à ce qu’on pouvait s’attendre.
Probablement que Tim’s Bio n’est pas sorti au bon moment. Alors queWelcome To Our Worldavec Magoo a été certifié disque de platine, ce premier album n’a démarré qu’à la 41eplace du Billboard US et fut un énorme flop, il n’est même pas question d’un disque d’or ou de single à succès. Est-il arrivé trop tôt, ou trop tard ? Ou alors occulté par les nombreuses excellentes sorties de l’époque ? D’où le terme ‘faux-départ’ employé en introduction. C’est sans doute la raison pour laquelle une partie du public pense, à tort, que Shock Value fut son premier disque, ou que cet album fut mauvais, alors que c’est à une année-lumière de là. Trop en avance, ou à l’inverse pas suffisamment par rapport à tout le talent qu’il a exposé jusqu’alors ? Pas grave, Timbaland reviendra plus fort, plus puissant et à la pointe de l’innovation dès 1999 avec l’incroyable et sombre Da Real World de Missy Elliott.
Aussi méconnu soit-il, Tim’s Bio l’a été même après l’invention de Napster (mi-1999), ce logiciel peer-to-peer devenu très vite populaire et qui a permis d’échanger gratuitement et illégalement des millions defichiers musicauxen format mp3. Qu’attendez-vous maintenant pour le découvrir ?