« Guess who’s back/ Back again/ Shady’s back/ Tell a friend » est-il introduit sur le méga hit « Without Me« … Oh non, pas lui encore!
Rétrospective originale écrite en 2005 revue en 2016
Alors que la planète entière venait à peine de digérer le monument ‘The Marshall Mathers LP‘ ainsi que ses frasques et scandales habituels dont la presse people en est friande, Eminem, alors au sommet de sa célébrité, laisse de côté son alter-égo vénimeux Slim Shady pour se donner tout entier en spectacle sur ‘The Eminem Show‘. Beaucoup plus personnel et réfléchi, toujours aussi corrosif et insolent, ce troisième album solo (sorti en 2002) est un tournant capital dans la carrière du MC de Detroit d’un point de vue artistique, et qui mènera sa cote de popularité à son apogée. Ce sera aussi son plus gros succès commercial (il fait partie du cercle très fermé des rappeurs possédant un disque de diamant aux US). Eminem a atteind un point à partir duquel il est parvenu à contrôler son image, et donc peut donner à son public ce qu’il attend de mieux de lui, si ce n’est le meilleur de lui-même tant bien lyricalement que musicalement.
Levé de rideau, test de micro, c’est parti pour le show en commençant par la lettre ouverte « White America« . À coup de rimes féroces, Eminem part en guerre contre la Maison Blanche républicaine et la politique de George Bush en levant sa propre armée (« So many motherfuckin people who feels like me/ Who share the same views and the same exact beliefs, it’s like a fuckin army marching in the back of me »). Il remet ça sur « Square Dance » pour dénoncer le cirque des médias et des politiciens de nouveau. Rarement un artiste rap d’une telle notoriété, aussi idolâtrée -et blanc de surcroît- ne s’en prenait autant au gouvernement américain. Eminem joue sur un autre degré de provocation qui dépasse de loin son côté malade mental trashy par qui le scandale arrive de ses précédents LPs. Il devient dès lors plus que jamais la cible de toutes les attentions, d’autant plus qu’il touche un public de plus en plus large, ses fans qu’on appellera par la suite des ‘Stans ».
Question production, Eminem assure la majeure partie de la réalisation de cet album en compagnie de Luis Resto et Jeff Bass. Son mentor Dr Dre, qui gère les arrangements et le mix final, ne produit que deux morceaux mais pas n’importe lesquels. En premier lieu vient « Business« , redoutable d’éfficacité, qui témoigne de la prise de contrôle du rap game par notre tandem. Ensuite « Say What You Say » pour la spéciale dédicace aux détracteurs. Sur ce dernier, le docteur se réserve une rime toute particulière pour Jermaine Dupri (« But what about Jermaine? Fuck Jermaine/ He don’t belong speakin mine or Timbaland’s name »). Là où ‘The Eminem Show‘ prend une plus grande envergure, c’est dans les inspirations rock des années 70 et 80, conférant une atmosphère scénique saisissante. Citons le fabuleux « Sing For The Moment » samplant « Dream On » des Aerosmith et « Till I Collapse » feat Nate Dogg, grandiose, s’inspirant de « We Will Rock You » pour le beat et la grandeur taille stade de 100 000 personnes.
Certes Eminem a pris une tournure plus pop relativement discutable, pas le genre musical mais dans le sens où il est devenu un artiste incontournable et populaire, paradoxalement. La ligne de conduite reste la même, celle de la provocation et l’interpellation. Les personnes qui ont découvert Slim Shady avec « Stan » seront moins désorientés que ceux qui l’ont découvert avec « My Name Is« . Cela ne l’a pas empêché de garder un profond humour noir, comme c’est le cas sur la fausse chanson de lover « Superman« , tournée au ridicule. Mais il n’est jamais aussi ironique que lorsqu’il parle de sa vie privée, comme la cinglante chanson dédiée à sa chère génitrice (« Cleaning Out My Closet« ). Lorsqu’il s’agit de sa fille Hailie Jade, Marshall Mathers se fait plus posé et docile, plus inspiré, même s’il parle du papa drogué (« My Dad’s Gone Crazy« ), jusqu’à se sentir pousser des ailes en chantant (!) sur « Hailie’s Song« . Il faut croire qu’Em prend un malin plaisir à être présent là où personne ne l’attend. Seuls les membres de l’entourage proche du rappeur ont été invités, à commencer évidemment par son groupe, la bande des D-12. Chacun des membres enchaînent des couplets de feu (surtout Proof et Bizarre pour la palme de l’originalité) sur « When The Music Stops » et son instrumental angoissant, sur le thème de l’amalgame entre textes de rap et réalité. On se rappelle aussi de la première entrée en matière d’Obie Trice déjà sur l’introduction de « Without Me » (« O Trice, no names, no gimmicks »), alors qu’il crache aussi des rimes acerbes sur « Drips« , parlant de maladies sexuellement transmissibles de manière très crue.
Avec ‘The Eminem Show‘, Eminem a su une nouvelle fois combler les amateurs de mais aussi capter des personnes qui ne se sont jamais interessés au genre auparavant. Et c’est ce qui fait la force de ce très grand albums. Encore une fois, le « rappeur blanc » secoue les institutions et les principes en se torchant royalement sur la morale et le drapeau américain, marquant une page de l’histoire du Hip Hop pour de bon. Toujours plus loin, toujours plus fort, toujours plus grand, toujours plus haut, toujours plus. En un seul mot: suprême. Mais jusque quand tiendra-t-il?