Voici notre premier grand classique G Funk, le résultat de la création d’un véritable titan, l’ex-NWA, Dr Dre. Certes le titre est contesté avec Livin’ Like Hustlers des Above the Law mais avec The Chronic on parle d’un bouleversement artistique et rapologique aux répercussions mondiales, au point de déplacer le centre névralgique du Hip Hop vers Los Angeles. Bref, nous sommes fin 1992/début 1993, une seconde révolution instiguée par Dr Dre est en marche. Pourtant le principe du G Funk est simple : sampler l’héritage de la Westcoast, c’est-à-dire le P Funk californien (mais pas que) et poser dessus des rimes hardcores et gangsta. Le résultat est à la hauteur du succès : phénoménal.
Le terme ‘Chronic’ emprunté pour cet album est assez ambigu puisqu’il signifie à la fois ‘chroniques’, bribes d’histoires et faits divers mais aussi dans le jargon local, ‘herbe’. Une feuille de cannabis est la première chose que l’on voit quand on ouvre le boîtier du CD. Outre cette caractéristique, The Chronic est aussi une façon de rentabiliser la nouvelle entreprise créée par Dr Dre et Suge Knight : Death Row. Derrière le rideau se cache aussi de nombreuses rivalités entre gangs, et l’inquiétant label a fait couler beaucoup d’encre et pas que. Les fictions se basaient sur une réalité qui pouvait s’avérer sanglante.
Grâce à The Chronic, le gangsta rap allait se démocratiser mondialement et s’installer constamment les charts avec des tubes incontournables comme « Ain’t Nuthin But A ‘G’ Thang« , « Fuck wit Dre Day » et surtout « Let Me Ride« . Basses hydrauliques, synthés rejoués, couches grasses de samples (Parliament, Funkadelic, George Clinton et bien d’autres encore) et textes sans concessions, cette musique rap d’un autre genre allait imposer ce style à part entière et instaurer de nouvelles les règles du jeu pour de longues années. Ce n’est pas l’album sur lequel figurera sa vraie marque sonore mais on en voyait les fondations qui serviront de base dans le futur. Les clips s’inspiraient de la ‘cali lifestyle’ : Cadillac aux suspensions bondissantes, filles peu habillées, les gangsta parties, les guns sous la ceinture, le cocktail d’alcool et de weed… C’était aussi le moment de laver le linge sale avec Eazy-E par chansons interposées. Dr Dre se sachant un rappeur moyen (heureusement The D.O.C. le suivait comme son ombre avec des rimes), il fait de Snoop Doggy Dogg l’égérie de ce classique. Le chien de Long Beach et membre des Crips est la véritable star de The Chronic décapitant chaque morceau avec son flow nonchalant.
The Chronic ne se limitait pas qu’à des singles rap ultra-funky et ensoleillés, cet album servira de porte-avion de lancement de plein d’autres artistes Death Row comme Tha Dogg Pound, RBX, Lady of Rage, Jewell… Un vrai festival de rappeurs affamés et dangereux qui feront monter le mercure sur « Rat-tat-tat-tat » (qui deviendra un gimmick culte), « Lyrical Gangbang » et « Stranded on Death Row« . Bien sûr Snoop le poulain (chiot?) de Dre est quasi omniprésent. Mais le docteur conserve l’affiche avec des titres emblématiques comme « A Nigga Wit a Gun » et « Lil Ghetto Boy » (qui sample le standard de Donny Hathaway). Dre continuait sur sa lancée de Efil4zaggin un an plus tôt, suite et fin de l’aventure N.W.A..
Du début à la fin, à chaque écoute, The Chronic nous ramène continuellement aux débuts de la grande épopée du rap Westcoast. Le final « The Roach« , samplant « Make My Funk The P Funk » de George Clinton, marque la transition entre deux ères, deux générations, la passation entre deux genres musicaux parents. Mais le jubilé ne s’arrête pas en si bon chemin puisque Snoop and Dre en rajoutent une couche en s’en prenant à la gente féminine canine sur bonus track « Bitches Ain’t Trick« . See you for the next episode… avec 2001 qui deviendra le Nouveau Testament de la Westcoast en 99, et par corollaire The Chronic en sera l’Ancien Testament.