Difficile de se faire un avis sur Denzel Curry tant cette tête brûlée issue de la génération SoundCloud rap n’a de cesse de faire trébucher nos idées reçues, la principale étant que les rappeurs de Miami sont proportionnellement aussi pauvres artistiquement qu’ils parlent d’argent, excepté Rick Ross. Mais à côté, Denzel est une véritablement anomalie et alors qu’il s’approchait de la trentaine, il a livré un cinquième album des plus riches et surprenant de sa carrière, Melt My Eyez See Your Future.

Le nom de Robert Glasper met plus que la puce à l’oreille et nous fait les fait grandes ouvrir les deux, d’oreilles, sur « Melt Session #1 ». Ces moments rap-soul interviennent à des moments intermédiaires de l’album, sur le tranquille « Mental » (avec un slam final de monsieur Saul Williams en personne), « Angelz » (co-produit par le batteur jazz Karriem Riggins) et le final jazzy « The Ills ». Ce floridien rappe comme les mecs habitant plus haut sur la Côte Est des US, et c’est d’autant plus mis en valeur des instrumentaux boom-bap comme « Worst Comes To Worst » (avec la voix d’Anna Wise), où l’on est même gratifié de scratches par instants ! Voilà qui donne le smile. L’élégant sample vocal de « Walkin » sur un beat trap permettent de fusionner les univers de Denzel, sur ce titre particulier montrant une détermination sans faille pour le rappeur de continuer d’avancer la tête dans le guidon, concentré sur ses objectifs. Globalement, Denzel Curry est très interessant à écouter, il a de vrais choses à dire sur sa vie, ses pensées et son vécu, avec des formules qui font mouche et le genre de jeux de mots qu’on adore. Des clins d’oeil aussi, aux De La Soul, Run The Jewelz… Pas mal d’easter eggs dans cet album.

Si Flying Lotus était de la partie, personne n’aurait été surpris. Enfin si, mais tant qu’à faire, il était le bienvenue. On est super content d’entendre cette collaboration (un peu trop courte) avec Thundercat sur « The Smell of Death ». « John Wayne » produit par JPEGmafia apporte aussi cette touche d’originalité qui colle bien au personnage. Le beat façon drum-n-bass qui arrive en cours de route sur le passage de slowthai sur « Zatoichi » fait aussi écho au tempérament houleux de Denzel sauce curry. Pour être correct, on peut plutôt parler de plusieurs facettes de Zeltron (son autre surnom) qui s’expriment, comme sur « Troubles » (produite conjointement par DJ Khalil et Kenny Beats) sur lequel il s’énerve sur la seconde partie, ou encore « Ain’t No Way » (featuring du beau monde dont JID, Kitty Cash, Rico Nasty et 6lack). Dans sa tête c’est tout un monde.

Et le plus fou dans l’histoire, c’est que les styles sont mélangés de manière décomplexée et naturelle, comme si c’était rien que le sien. Alors des applaudissements pour cette DA incroyable qui, malgré la diversité impressionnante des producteurs (on compte même Dot Da Genius le collaborateur de Kid Cudi), maintient un cap clair, que les intégrations d’éléments 100% trap (l’excellent « Sanjuro », « The Last » plus classique, ce « X-Wing » bien trippant) ne viennent en rien perturber. En fait Melt My Eyes See Your Future ne fait que confirmer à quel point Denzel Curry est un rappeur à part absolument génial et pas si incontrôlable qu’il en a l’air.

L’édition ‘étendue’ de Melt My Eyez See Your Future s’accompagne de versions rejouées, avec de vrais instruments, de huit morceaux de l’album, parmi les meilleurs comme « Worst Come To Worst », « Walkin », « Mental » et « Troubles », transfigurant au passage ce « X-Wing » avec cette version ‘cold blooded soul’. Le producteur à l’initiative de ces versions (plutôt que des remixes) s’appelle Mickey de Grand IV, je vous laisse avec info. Deux inédits complètent le tableau sans le dénaturer, au contraire, ils ont été pensés pour figurer s’incorporer parfaitement, surtout « Chromed Hearts » avec Zacari.

LA NOTE : 17,5/20