Après trois années de break sort le 2 Juillet 1996 Stake Is High des De La Soul, soit le même jour que It Was Written de Nas. Ou comment se faire méchamment doubler par la droite dans les charts par un rouleau-compresseur de la Grande Pomme. De plus, c’est le premier album des De La Soul à ne pas être produit par Prince Paul, le mode « ça passe ou ça casse » est enclenché. Alors ils ont tout mis dedans, tout donné comme si c’était le premier et le dernier. Stake Is High est le disque le plus décisif de leur vie, et capital pour tout amateur de hip hop qui se respecte.
Cette année-là, la donne changeait. Beaucoup de rappeurs mangeaient dans la gamelle des autres, le rap game devenait un bizness juteux, les CDs se vendaient par paquets de million. Le rap devenait mainstream et entrait dès lors dans l’ère de Platine. C’était le moment propice pour les De La Soul de se renouveler, comme s’ils repartaient presque de zéro avec comme crédo ce bon vieux dicton français « jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction ». Et Stake is High démontrera sans calcul qu’ils sont là pour rester branchés. Plug 1, Plug 2, Plug 3, mic check one-two, les « Supa Emcees » sont dans la place et comme ils savaient qu’ils étaient sur le point d’entrer dans la légende, ils déclarent d’entrée de jeu « De La Soul is here to stay, like racism ». Aouch.
Flows affutés, vocabulaire riche, textes qui font l’autocritique du hip-hop, Posdnuos et Dave/Dove (enfin, Trugoy quoi) ont pris de la hauteur toujours en conservant leur malice. « The Bizness » avec Common, « Dog Eat Dog », « Itzsoweezee (HOT) », les représentants de Long Island distribuent les leçons, testent, corrigent et donnent les notes. Sans oublier leur sens de la formule inégalable (par exemple « Down Syndrome » (qui a rapport avec la trisomie 21) ou leur allergie pour le r&b (la parodie « Baby Baby Baby Baby Oh Baby Baby »). Ils font désormais partie de la classe des MCs supérieurs. Sans vouloir toiser la concurrence ni jouer les moralisateurs, ce sont plutôt les autres qui regarde nos MCs d’en bas avec ce regard admiratif pour leurs œuvres et leur contribution significative à la culture hip hop.
Des contributeurs soucieux du travail bien fait qui ont été contraints de se renouveler musicalement. Les De La ont du se relever les manches et mettre la main à la patte au niveau des instrus. Ceux-ci ont subi un écrémage, n’est pas Prince Paul qui veut. Surtout ça commençait à devenir compliqué de sampler tranquillou quand une horde d’avocats débarquait réclamer des millions pour une boucle d’une demie seconde échantillonnée sur le vinyle d’un artiste issu de la cambrousse d’un pays exotique. C’est sous-estimer notre trinôme qui ont redoublé d’ingéniosité en se basant sur le schéma classique qui a fait école de longues années : un beat (sans break), un sample ou deux finement choisi, des infrabasses, quelques notes de synthé et le tour est joué. Le facteur X qui a fait que ça a fonctionné, c’est qu’ils la vibe. On peut d’ailleurs la trouver en version concentrée sur « 4 More », single ultra-groove avec les Zhane qui se fondent merveilleusement dans l’uptempo soul/jazz, ou encore, « Long Island Degrees » ou « Dinninit ».
Pour finir, Stake is High fut le théâtre de deux des plus grandes révélations du siècle dernier. Le premier est un rappeur qui a fait les belles heures de Rawkus, Mos Def, qui dévoile sur « Big Brother Beat » son énorme potentiel, avec ce flow qui swingue entre les syllabes. Le second était aussi un quasi inconnu à cette date, un certain Jay Dee, qui co-signe le sacro-saint « Stake Is High » qui allait emmener ce quatrième opus vers le firmament.