Le paysage rap français n’offre pas réellement un hip-hop de qualité en cette année 2007, on a connu des millésimes bien plus intéressants. 2007 n’a vraiment pas été une bonne moisson. Le tsunami Dirty South inonde les ghettos, où de rares surprises sortent la tête de l’eau (SoFresh Squad), et tous les albums en major sonnent pareil. Le troisième album de Sinik est l’exemple incarné de cette stagnation, je dirai même stigmatisation, une uniformisation qui n’ose pas sortir du sempiternel schéma piano/violon (quand elle ne suit pas la tendance sudiste). La place de numéro 1 de LIM dans le top ifop contre un flop de Passi démontre bien que les jeunes préfèrent du rap sans hip-hop, sans passion, sans intérêt quoi. La vague sudiste s’empare du rap français mais aussi les beefs à profusion importés des Etats-Unis, des mecs des cités sans talent envahissent les bacs, c’en est désespérant et c’est vendeur. Il y en a marre, marre, marre.
Abd Al Malik disait qu’on ne peut pas continuer dans ce sens lorsqu’on donne le bâton avec lequel on tape, mais les clichés s’amplifient de plus en plus, comme ces rappeurs cagoulés armés qui passent à la télé. Les ‘antiquités’ IAM et MC Solaar s’en sortent dignement mais leurs retours en force ne dévient pas ce constat qui est le mien, plutôt pessimiste. Après, il faut surveiller de près les indépendants comme les sorties Just Like Vibes ou des producteurs internationaux comme Clutch Player et DJ Cam. C’est officiel, Skyrock a gangrené le rap en France et instauré une mentalité à la con. Les arguments de vente ne feront pas penser que le rap se porte bien simplement parce qu’il génère beaucoup d’argent. Il m’arrive de penser que si j’avais découvert le rap céfran à cette époque, je trouverais cette musique nullissime. Je suis aigri, je suis redevenu fâché avec le rap français, c’est un fait que j’assume pleinement, et je m’en contrefiche de passer pour un nostalgique de notre âge d’or, ceux qui ont vécu cette époque savent comme moi que tout est à refaire. Ou presque.
Pour oublier mon vague à l’âme, je me mets à penser que j’assiste à l’établissement en France d’une mouvance hip-hop soulful et jazzy qui commence doucement à montrer quelques étincelles de lumière dans cette soupe matérialiste et commerciale (on pourrait croire que Diam’s a récupéré le public de Leslie et Lorie). Je pense à des petits artistes, des emcees comme Kwame et Réel Carter par exemple, le très classe concluant Lipopette Bar d’Oxmo Puccino, la reconnaissance du Slam avec Grand Corps Malade, Abd Al Malik et Rocé. On catalogue ça comme étant du rap intello, je répondrai à ces faux amateurs de hip-hop que le rap doit rester une musique intelligente qui nécessite plus de 30 de QI, pas de tourner en rond dans les playlists des radios et que ce n’est pas l’argent qui fait vivre un rap pauvret. Bref, j’en arrive au sujet après ce billet d’humeur avec Place 54, ce troisième opus des Hocus Pocus, avec cette fois un support de poids, la prestigieuse insigne Motown France (certes souillée par les palabres de Vitaa). La formation hip-hop/jazz nantaise orchestrée par le surdoué 20Syl a pour mission de nous offrir de la magie. Tour d’horizon de cette œuvre scintillante, riche en soul music.
La lecture de l’album commence, le train quitte le quai pendant que l’auditeur rejoint la « Place 54 » dans le TGV Paris-Nante. L’instrumentation en live est très réussie, elle nous assied confortablement dans l’ambiance, c’est le début d’un voyage immobile où l’on voit juste le paysage défiler devant nos yeux fermés. Je sais que « Voyage Immobile » est le nom de la dernière chanson de l’album (rendant un bien bel hommage aux artistes qui l’ont influencé, tels que Billie Holyday, Stevie Wonder, les Tribe Called Quest ou encore J Dilla), je l’ai repris parce que je ne vois pas d’autre terme, ni un meilleur synonyme pour parler de ce que nous font vivre les HP. Les textes de 20Syl font travailler notre imagination, preuve qu’il a progressé à l’écriture poétique. Ensuite la bande nous emmène dans leur bus de « Tournée », récit d’un carnet de voyage plein d’anecdotes jamais inintéressantes, ou ailleurs, en nous mettant dans la peau d’un « Touriste » se pavanant dans un pays exotique, sans se soucier de l’envers du décor de carte postale qui l’entoure, de la pauvreté des habitants (par la voie d’Elodie Rama) qui s’efforcent de garder des apparences pour accueillir les vacanciers.
« Hip Hop », le titre qui les a fait connaître en 2006, est passé à « Vocab ! », seconde collaboration avec les californiens survoltés, The Procussions. Le point commun entre ces deux morceaux (outre la présence du groupe signé chez Rawkus), c’est la préservation d’un état d’esprit authentique dans le hip-hop, qui passe ici par le respect mutuel de cette culture urbaine différente selon les pays, principalement les rapports entre les artistes rap européens avec les grands frères américains que l’on admire. 20Syl, Stro the 89th Key, Mr J.Medeiros et la voluptueuse T-Love échangent leurs points de vue en franchissant la barrière de la langue, discutant en slang dans le rap cainri, de la compréhension de leurs lyrics qui peuvent provoquer des désappointements ou au contraire susciter notre envie tellement ils ont du style. Dans tous les cas, on sera d’accord sur le faite que le beat déboîte les nuques.
Les Hocus Pocus défendent l’exception culturelle française à leur manière, même si sur « Quitte à T’aimer » (qui reprend « Petit Pays » de Cesaria Evora), le MC étale son lot de reproches et de confidences à la France personnifiée, sans trop pousser mémé dans les orties. C’est là que j’en viens au défaut des Hocus Pocus, c’est malgré le fait qu’ils apportent tous les éléments nécessaires à la fabrication d’un hip-hop de haute qualité, les raps de 20Syls sont parfois trop gentillets. Comme le dit très bien mon pote JP (alias mista jpkoff), « ce n’est pas le genre de hip-hop qu’on écoute à fond en voiture vitre baissée », surtout lorsque 20Syl rime « je la saoule et je la fais criser/ quand la douche est pleine de petits poils frisés/ sa patience se consume comme un tas d’allumettes/ quand je ne rabaisse pas la lunette » sur « Je La Soul ». À prendre avec humour et simplicité. Car la caractéristique de 20Syl est d’assumer qu’il a une ‘vie normale’ comme beaucoup d’autres (à voir sur « Normal »), à l’instar de rappeurs qui s’en inventent une hors de la réalité. Il nous narre d’ailleurs ses souvenirs d’enfance lorsqu’il revoit « l’Histoire d’une VHS » sur une note acoustique, qu’on retrouve également sur « Touriste » et « Normal » justement.
20Syl garde une touche de légèreté, comme sur le single « Smile » accompagné du soul singer anglais Omar, amené par un air d’harmonica très sympathique. On a l’impression quelquefois de trouver dans son flow un peu d’Akhenaton. Le MC/producteur porte haut et fort son intégrité, celle d’un grand garçon en l’apparence reservé qui se lâche une fois le micro en main, portant un regard critique sur des thèmes d’actualité sur « Recyclé » et « Mr Tout Le Monde », l’histoire d’un téléspectateur dépeignant les rouages de l’industrie du disque et de la téléréalité bidon. Tout ça pour en venir au fait que les Hocus Pocus livrent un album d’une fraîcheur bienvenue, un rap oxygéné à la vibe soul/jazz momentanément acoustique, plus vrai que nature pourrait-on dire. Vous ne voyagerez plus en train sans Place 54 dans le baladeur.
(chronique écrite le 11 Aout 2008 )
Très bonne chronique pour cet excellent album ,une vrai tuerie ,il a des instruments et pas des synthés ,des vrais themes et pas de themes genre « Fuck The Police » ou « La France nous méprise »
Après cest vrai que cet album sonnre moins hip hop que 73 Touches mais il est vraiment bon
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