Eté 1988, un tremblement de terre surgit de Long Island : « Rebel Without a Pause ». Un tremblement d’une intensité similaire à celle survenue sur la côte californienne avec l’arrivée de Straight Outta Compton des N.W.A. Cette sirène (qui est en faite une boucle de cuivre retravaillée) qui élève le niveau d’alerte à l’état d’urgence, des lyrics conscients très durs mais pas négatifs : une parfaite description du style de ce groupe mythique, mais ce n’est pourtant qu’un aperçu de ce que nous réserve ’It takes a nation of millions to hold us back’. Un véritable lance-missiles ! Les sirènes hurlent dès l’intro, et l’on est immédiatement amené à faire du bruit par la suite. On n’aurait pratiquement pu rêver meilleure introduction à l’album.
Chronique originale écrite sur Rap2K en Octobre 2005
Ce second LP de Public Enemy chez Def Jam supervisé par le gourou Rick Rubin met en avant l’équipe de production de choc : Hank Shocklee et Eric Sadler (a.k.a. les futurs Bomb Squad). Ces derniers n’hésitent pas à inclure tout élément susceptibles de produire une sonorité servant d’élément de construction à leurs beats, des bruits à l’état brut, comme ces sirènes (encore) ou autres grincements, bref des sons très stridents. Selon Eric Sadler, certains morceaux auraient nécessité près de 70 pistes pour la production… Du jamais-vu. Les instrus sont apocalyptiques, cacophoniques parfois, mais uniques et défiaient (à l’époque) toutes logiques de productions de base. L’album mélange aussi bien les saxophones jazzy, que les samples funky (dont beaucoup de James Brown), ainsi que les guitares électriques, le tout soutenu par le « technicien d’assaut » (D.J.) Terminator X. Pour écouter cet album, il faut avoir des tympans en kevlar : les sons sont aussi lourds que les textes de celui qui s’auto proclame dans le livret « le messager de la prophétie » : Chuck D.
L’album (et le groupe) est ainsi également bien connu pour être la référence du style « politiquement engagé » (avec d’autres artistes comme le Boogie Down Productions, Ice-T, …), car Chuck D a réellement développé cet aspect depuis le premier album du groupe Yo Bum Rush the Show. Il profite de ce qu’il appelle le « CNN noir » (le rap) afin d’agir en parfait rhétoricien, pour défendre les droits des afro-américains, inciter à la prise de conscience sur des sujets tels que la drogue sur « Night Living of the Basehead », la télévision (« She Watches Channel Zero ?! »), le milieu carcéral tout en faisant la nique aux autorités (« Black Steel in the Hour of Chaos », une petite histoire aussi remarquable que le clip).
Vous imaginez bien que Chuck D n’est alors pas un rappeur bien vu par les médias classiques (pour ne pas dire ‘blancs’), c’est pour cela qu’il leur dresse le très bon classique « Don’t Believe the Hype », histoire de clamer haut et fort cette vérité devenue un de leurs slogans légendaires. Il n’hésite pas non plus à se moquer de ceux qui seraient contre les samples dans « Caught, can I get a Witness ? ». Il faut saluer aussi la très honorable prestation de Flavor Flav sur « Cold lampin’ », dans un rôle autre que celui de bouffon de service.
“It takes a nation…” est vraiment une révolution sur tous les plans, et a mis définitivement au premier plan un des groupes les plus influents de l’histoire du rap (mais pas seulement sur le plan musical), avec une attitude hardcore, militante, une hargne sans être négatif. Écoutez donc ce que dégage un track comme « Prophets of rage ». L’explosion de l’album et du groupe est à l’image de l’explosion du hip-hop, à une époque ou l’on pouvait être revendicatif dans ses lyrics et décrocher le disque de platine. Le long titre en disait long mais il faut être lucide, même une nation de millions n’aurait pas suffit à désarmorcer cette bombe.