Après nous avoir habitué à des hits r&b formatés au possible sur ces deux précédents albums Pain Is Love et l’affligeant The Last Temptation, après avoir massivement participé à de nombreux featurings (toujours r&b) en poussant sa grosse voix raillarde, ce qui a fait aussi bien son succès commercial que sa perte d’intérêt, Ja Rule revient à ses sources en opérant un demi-tour au rap hardcore. Le revirement était risqué et assumé mais c’était dans l’intention, honnête, de vouloir montrer de quel bois il se chauffe lorsqu’on lui chercher des noises.
Quelle est la raison de l’existence de Blood In My Eye? Il y a eu un élément déclencheur pour le lancement prévu au dernier moment de cette bombe à fragmentation. La menace est venue de son ennemi juré, une personne qui était son rival naturel dans le Queens bien avant d’être rappeur et qui l’a ridiculisé sur « Wanksta » dès son intronisation fulgurante : 50 Cent. En un rien de temps, Fifty l’a supplanté en détruisant la carrière de Ja en le faisant passer pour un loser. Ce dernier répondant à chacune des attaques et vieux dossiers d’un manière involontairement comique, il a finit par s’en prendre plein la gueule par des poids lourds du rap game : Eminem, Dr Dre, les D12, Busta Rhymes et son collègue de label DMX. C’était devenu la tête à claque du Hip Hop US.
Blood In My Eye était une arme à la fois défensive et offensive, une réponse, violente et viscérale, nourrie de toute cette haine et cette jalousie qu’inspiraient certains de ses pairs et des fans pro-G Unit, tout en se protégeant de leurs tirs. Les dégâts indirectement provoqués par ses multiples beefs ont fait de lui la cible numéro 1 des détracteurs. À l’origine, ce projet devait sortir sous forme de mixtape (il y a des restes de freestyles avec Hussein Fatal en fin de disque), la décision finale était de commercialiser cet album en l’état, comme un LP ayant pour mission le sauvetage de sa carrière, du moins sa dignité en temps que rappeur.
Court (45minutes), encore plus si on élimine si les trois skits, on constate que l’ensemble repose autour du morceau phare, « Clap Back », la frappe chirurgicale de Ja Rule seul contre tous : “I’m here to make this rap shit hotter than Harlem/ Fuck the dog beware of Rule, cause I’m the problem/ We’ll still proceed you with a gun in your face/ When you got one in your waist/ Let’s cock back nigga ample space ! ” et un peu plus loin “Like Bush and Saddham I’m a find out/ Where Em’Laden’s hiding first/ It could be worse/ I could be hotter than your scrubs/ Gun hot from burnin’ ass up”. C’est LE morceau de l’album, il a été récompensé par un Source Award, de mèche avec The Inc. D’ailleurs si le disque s’était appelé Shady/Aftermath/G Unit diss, ça aurait été pareil. La production de ce banger incendiaire est laissée à Scott Storch, alias le hitmaker qui mange à tous les râteliers, quel que soit le camp, pourvu qu’il encaisse ses chèques.
Ja Rule n’est pas si seul qu’il en a l’air, il est entouré et soutenu par toute la clique d’assassins professionnels du Murder Inc : Cadillac Tah, Black Child chargent sur 50 Cent sur « Things Gon’ Change » et Sekou 720 et Shadow resteront des anonymes après « The Inc is Back ». Ja ne ménage pas ses efforts pour relancer le label fondé (par le blanchiment d’argent) par Irv Gotti, en vain.
Quelques bons titres se dégagent du lot, tels que « The Crown » pour rentrer dans la course au titre de king of new-york et « Niggaz & Bitches ». Les gros défauts de ces morceaux, c’est que le premier est un trop-plein d’égo équivoque, le second une imitation à peu près correcte de 2Pac.
Sans sous-estimer son talent lyrical et son flow, il ne pouvait pas plus nous décevoir plus que ce qu’il a fait auparavant. Le Ja Rule de Venni Vetti Vicci a été réveillé par sa rage intérieure. Malheureusement Blood In My Eye était un échec commercial avant même sa sortie, pour lui le but était de sauver l’honneur. Trop tard, ses précédentes attaques l’ayant enfoncé un peu plus, plus moyen de le prendre au sérieux. L’arrivée triomphante de 50 Cent a signé son arrêt de mort commerciale. La différence entre Curtis Jackson et Jeffrey Atkins, c’est bien qu’ils sont vivement détestés par une partie du public rap, l’un ne l’a pas cherché.
J’avais été très sévère en lui infligeant un 7/20 quand j’ai publié cet article pour la première fois il y a 5 ans. C’est vrai que je me suis laissé porté par la vague et je ne supportais plus ce rappeur, chaque fois que j’écoutais un de ces morceaux j’avais la nausée tellement ses tubes passés en boucle m’avaient fichu la nausée. Donc là, avec le recul et l’eau qui a coulé sous les ponts, je rectifie la note en retirant le parti-pris engagé dans la chronique d’origine.