Nouvel album, nouvelle décennie, à double titre : nous plaçons le curseur sur l’année 1991 et les De La ont passé la barre de la vingtaine. Et cet intitulé accompagné d’une pochette qui laissent perplexe : De La Soul is Dead et un pot de fleur brisé. Que tout le monde se rassure, il n’y a pas eu de suicide collectif, ils sont bel et bien en vie et se portent superbement bien. Simplement, ils ont tenu à enterrer leur image de hippie, pour anticiper les critiques dans le milieu à leur sujet, pour se rebeller, pour se démarquer, il y a eu X raisons valables à cela…
Les fleurs sont piétinées mais pourtant les De La Soul ne sont pas de la mauvaise graine puisqu’ils répondent à leurs détracteurs avec une arme redoutablement intelligente : le second degré, le vrai, celui qui pique et qui fait réfléchir après coup. C’est peut-être une des raisons parmi tant d’autres pour lesquelles beaucoup d’aficionados considère cet opus comme leur meilleur album des années nonante. Ce n’est pas un hasard. Structurellement parlant, De La Soul is Dead s’inscrit dans la continuité de 3 Feet High & Rising sans faire Ctrl+C/Ctrl+V pour le contenu. L’album démarre par une introduction de Prince Paul expliquant l’utilisation de la mini-BD figurant dans le livret, façon livre-audio qu’on écoutait en cours d’anglais avec un lecteur K7 haut-parleur, et dont l’histoire se poursuit dans le différents skits. Le concept est dans le concept.
C’est après que les choses sérieuses démarrent avec « Oodles of O’s » où Posdnuos et Dove (ou Trugoy si vous préférez) balancent une avalanche de rimes en ‘o’, puis sur « Peas Porridge » où les mots se répètent pour un incroyable exercice de flows. Voilà comment les deux rappeurs élèvent leur niveau, avec encore plus d’originalité, d’efforts et d’alambique. Les De La évoquent des sujets graves à leur manière comme l’histoire « Millie Put a Pistol on Santa », et toujours dans cette optique de dénonciation des violences et des armes a été écrit « Afro Connection at Hi 5 ». Ils abhorrent aussi ce qu’ils appellent le r&b (pour ‘rap and bullshit’). Paradoxalement, ce second album n’en demeure pas moins fun et funky, complétant leur riche discothèque de singles indémodables, dont le fameux « Ring Ring Ring », particulièrement sa version remix complété de ces saxophones reconnaissables et qui a bien tourné en radio. Ah oui, autre single inoubliable, « A Roller Skating Jam Named Saturdays ». Les scratches de Maseo, le couplet de Q-Tip, l’ambiance disco, la voix de Vinia Mojica… Quel fabuleux souvenir, toujours un morceau à ressortir dans les soirées old school.
C’est là un autre paradoxe des De La Soul, c’est qu’ils doivent leur longévité et leur cote de popularité grâce à des tubes hyper accrocheurs comme celui-ci et non pas aux ventes. Mais vu le format inhabituel de l’album, ça peut se comprendre. Sur un total de 27 pistes(!), en tout et pour tout, De La Soul is Dead se contente, et nous avec, d’une bonne douzaine de véritables chansons. Mais c’est ce qui fait la richesse de cette œuvre, car à la vertuosité verbale de Pos et Dave, aux nombreuses accolades rap (Public Enemy, Slick Rick, Melle Mell, Oochie Wallie…), il y a de nouveau le membre caché des De La, Prince Paul, qui apporte un florilège de samples, de Parliament à Gainsbourg en passant inévitablement par James Brown (le fameux « Funky Drummer »). « Oodle of O’s » utilise une boucle de Tom Waits que son élève RZA n’aurait pas renié, les interludes radios « RMS » sample… Joe Sample (on n’invente rien) « In All My Wildest Dreams » qui sera repris des années plus tard pour « Dear Mama » de 2Pac… Des breakbeats géniaux, on en retrouve sur la kyrielle d’interludes, autant d’espaces de jeu pour Prince Paul et ses pitreries. Le bouquet final « Keep the Faith » est absolument jubilatoire, empruntant une mélodie entêtante à Bob James, la rythmique de batteries de « Walk This Way » du groupe rock Aerosmith, les guitares de « Could You Be Loved » de Bob Marley et une basse méga-groovy bouclée chez Slave.
Au bout du compte, les De La Soul ont donné tort à leurs détracteurs et plus de raison de les apprécier. Leur esprit floral est mort et enterré pour se concentrer et progresser sur leurs énormes qualités en les élevant à un tout autre niveau, en poussant leurs idées plus loin encore. La réputation du groupe de Long Island s’est consolidée avec cet album et leur ingéniosité a permis de dorer un peu plus la musique rap.