Nous sommes à la toute fin des années 80, plus exactement en 1989, le Hip Hop terminait son âge de Bronze quand sortait ce mythique ‘platinum classic‘. Bon, dans les faits, cet album haut en couleurs et fleuri a mis une grosse dizaine d’années avant d’être moulé dans ce métal précieux pour s’être écoulé au million d’unités, mais ça en dit déjà long sur le caractère imputrescible de 3 Feet High & Rising débordant de créativité et tout à fait original, même un quart de siècle plus tard.
Nous entrons donc dans une ère où chaque entité rapologique, individuelle ou en groupe, va forger son identité sur sa différence vis-à-vis des autres. Celle de trois De La Soul était pratiquement révolutionnaire pour l’époque, sans parler de ce cher Prince Paul, membre honoraire des Stetsasonic, alias l’homme qui a tout samplé tout avant tout le monde. Oui oui, tout à fait, quelques révolutions solaires avant les sacro-saintsThe Chronic ou Doggystyle, il a samplé du George Clinton (l’über funky « Knee Deep »), par exemple, pour le single phare « Me, Myself & I ». Et ce savant fou de Prince Paul n’était pas qu’un digger invétéré, il était capable d’utiliser jusqu’à six samples pour construire un instru, comme pour l’immanquable « Say No Go », voire sept (7!!!) pour « The Magic Number » qui fut également un de leur premier grand numéro d’anthologie.
Les trois garçons, tel leur chiffre magique,pouvaient être catalogués comme des ‘têtes de premier de la classe’. C’est bien parce que notre trinôme coupé au carré a été le premier dans tout plein de matières. Sur le fond, ils ont été parmi les premiers à ne pas se prendre très au sérieux, prenant le contrepied de nombreux de leurs pairs en se lançant dans un rap non-violent, armé d’un humour teinté d’ironie à ne surtout pas prendre à la légère et des jeux de mots à la pelle. Au passage, le pseudo Trugoy est ‘yogurt’ à l’envers, idem pour Posdnuos (‘sound sop’) qui se traduit en ‘vestige de son’. Des rappeurs appartenant à la jeunesse estudiantine à prendre au sérieux, en somme, qui sans le savoir ont été le précurseur de ce qu’on appelle maintenant lehipster-hop, avec leur côté hippie qui répond parfaitement à la célèbre devise « Peace, Unity, Love & Havin’ Fun ».
Sans 3 Feet High & Rising, il n’y aurait probablement pas autant d’interludes sur des disques de rap, et ici, il y a toute une flopée, même un interlude pornographique (« De La Orgee »). Là encore, Maseo, Trugoy, Pos et Prince Paul ont créé de véritables mini-sketches qui ne seront jamais égalés, sauf par eux-mêmes dans (presque) tous les albums qui suivront. Aussi, la durée totale d’écoute s’approche des 70 minutes, profitant du format Compact Disc qui connaissait son explosion au détriment du vinyle, devenant peu à peu obsolète par sa taille et sa fragilité.
Maintenant qu’on a pu réaliser à quel point ce premier LP des De La Soul est un précurseur dans moults domaine et ultra-original à cette époque où les jeans baggys n’existaient pas, n’oublions pas que ce grand album recèle de standards appartenant à l’Histoire du Hip Hop, en commençant par le plus évident : la réunion de quelques membres des Native Tongues sur « Buddy », en la présence de Q-Tip (émissaire des Tribe Called Quest) et des Jungle Brothers. Pour rappel, les Natives Tongues représentent un mouvement Hip Hop associé à Zulu Nation reconnaissable à leur musicalité jazzy et à leurs textes afro-centrés et positifs. La mouvance Soulquarian se bâtira plus tard sur ces fondations. Voilà pour la petite histoire. D’autres chansons comme « Eye Know » (‘eye’ = ‘I’) et « Plug Tunin’ » sont considérés comme des référence dans leur discographie, notamment le dernier cité car il explique pourquoi les trois rappeurs (puisque Maseo tâte parfois du mic plutôt que des galettes de vinyles) se sont nommés les ‘Plugs’.
Ce brelan d’as, avec Paul comme quatrième carte caché dans la manche, ont lancé un style qu’ils appellent dans l’avant-dernière piste « D.A.I.S.Y. Age », acronyme signifiant « da inner sound y’all ». Pour résumer en trois mots commençant par un C : culte, classique et cool. Allons, encore un quatrième adjectif : créatif.