Si vous vous êtes beaucoup emmerdés durant le Covid et que vous écoutiez du rap US à longueur de journée pour passer le temps, ce serait étonnant que vous soyez passés à côté de ce drôle de personnage qu’est Pink Siifu. Tellement spécial, qu’il suffit d’un souffle ou d’un murmure pour l’identifier, à ce point-là oui. Très actif depuis 2014, cet artiste rap a bombarbé les plateformes de projets/EP divers et variés, avec en point d’orgue ce GUMBO! paru en 2021. Puis il y a ce merveilleux album Leather Blvd. de son duo B. Cool-Aid, tranquillement apparu avec les rayons de soleils et la fleurs du printemps 2023…

Après BROWN, il s’agit là du second album des B. Cool-Aid (attention à bien placer le point et le tiret), que Pink Siifu forme avec le producteur Ahwlee (attention à l’orthographe aussi). Siifu a un pied à Cincinnati et l’autres dans l’Alabama, Ahwlee est californien, le triangle géographique est pour le moins très intéressant. Il produit aussi sous son autre pseudonyme, iiye (oui ça s’écrit comme ça). L’occasion pour lui de faire des choses très différentes que sur ses autres projets solos parfois bordéliques et énervés. Ici c’est cooool, posé, jazz-rap instrumental et nusoul, « Welcome to Leather Blvd » et « Cnt Go Back ( Tell Me ) » nous plongent la tête la première dans cette vibe dorée et calfeutrée, bien aidés par le quintet jazz Butcher Brown (groupe jazz très apprécié par les temps qui courent) et DJ Harrison, très influencé par J Dilla. D’ailleurs c’est fou comme l’atmosphère captivante de « Diamonds » rappelle celle de « Climax » des Slum Village, sur un tempo plus lent et langoureux. Le frisson qui m’a parcouru, je m’en rappelle parfaitement, ce sentiment de félicité indescriptible. Un de mes meilleurs souvenirs musical de 2023, giga coup de coeur qui s’empare de mon esprit à chaque écoute. On retrouve ce côté ‘Dilla-esque’ aussi sur « Street Got Pages » (avec la trop rare Jimetta Rose) et « So Soft Salon ».

Les guests apportent leur couleur personnelle à cet album très singulier, comme le chanteur Devin Morisson sur « Whassup » ou notre déclameur préféré Big Rube sur « Fools LSA » et « Leather Blvd Ad ». Les Butcher Brown sont assez présents. Mais l’instrument le plus original, c’est bien la voix de Pink Siifu, qu’il infuse sur chacun des titres, grâce à son espèce de ronronnement de sa voix enrouée au timbre si particulier. Beaucoup de monologues et dialogues complètent aussi cet album, notamment sur « Neems » (co-produit par Mndsgn). Chaque chanson est comme un embranchement singulier, c’est comme arpenter des rues différentes d’un même quartier, avec ses lieux communs et ses côtés pittoresques. « CRAXY! », « soundgood », « Cnt Fk Around », « Brandy, Aaliyah » (avec Denmark Vessey et Quelle Chris)… ce sont comme des moments de vie qui sont capturés.

Leather Blvd est, comme vous l’aurez deviné, une expérience musicale à vivre. C’est impressionnant d’observer comment Pink Siifu utilise son style et sa voix pour se fondre dans ce registre hybride entre rap et soul/jazz contemporain. On pourrait croire qu’il est capable de tout faire. Si demain, il décide de faire un album de punk rock, je veux être le premier à l’entendre. N’oublions pas Ahwlee, que j’ai découvert par le biais de cet album (que je possède en vinyle coloré marron), vrai talent qu’on aimerait entendre plus souvent.

LA NOTE : 17/20