Avec Lupe Fiasco, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre quand il sort un album. Le rappeur surdoué de Chicago a connu tellement de très hauts et de très bas dans sa carrière, oscillant entre moments magistraux et auto-sabordages, des fulgurances issues d’un cerveau très bien fait et du désordre artistique le plus total, une liberté de pensée complexe et pressions de son ancienne maison de disque Atlantic. En s’arrêtant sur le titre de l’album Drill Music In Zion et le tableau en guise d’artwork, de nouveaux signes contradictoires ressortent un peu.
Je m’explique : la Drill music est ce sous-genre de rap originaire des quartiers Sud de Chicago auxquels nous ont habitués des rappeurs comme Chief Keef, G Herbo, etc… et qui s’est exporté jusqu’en Europe. J’imagine mal Lupe surfer sur une tendance qui n’est plus tellement à la mode dans le rap US dans les années 2020 et qui ne correspond pas à sa philosophie non-violente. Et ce tableau, qui fait écho à l’excellent Tetsuo & Youth (2015) et pourquoi pas Drogas Wave (2018), très réussi pour ma part. D’ailleurs, le titre « Ms Mural » sur ce huitième opus est la troisième partie de la trilogie « Mural » commencée sur Tetsuo & Youth.
L’album est laissé entre les mains de son acolyte le producteur Soundtrakk qui le suit depuis… Food & Liquor. Ici, il a utilisé le logiciel GarageBand pour concevoir ses instrumentaux, qui n’ont rien à voir avec de la drill music (« pop dat pill music ») en fait, et l’enregistrement a été bouclé en 3 jours à peine. J’aborde l’écoute comme une visite d’une galerie d’art présentant une dizaine de nouvelles peintures, dont certaines font référence à la pop culture comme « AUTOBOTO » (Transformers). Il faut parfois du temps pour s’imprégner des lyrics, de leurs significations, leur double-sens derrière les métaphores et références pointues, comme on essaie de comprendre des traits abstraits ou de portraits à la beauté froide. Des fois, on n’est pas attiré plus ça par un titre, et juste c’est comme ça. Le travail est à saluer à chaque passage, mais on n’est pas là pour se divertir, ni être forcé d’apprécier, c’est tout à chacun, question de subjectivité. Une subjectivité qui m’amène à – par exemple – apprécier davantage « NAOMI » pour son côté boom-bap feel-good et jazzy, à un « SEATTLE » ennuyeux comme un jour de pluie d’automne. D’autres personnes apprécieront mieux les qualités de morceaux comme « KIOSK » et « ON FAUX NEM ».
Tout ça pour dire que l’art, et donc la musique, et donc le rap, est assujetti à la théorie de la relativité. Tout ceux qui ont longtemps brandi l’objectivité comme seul argument valable pour critiquer, arbitrer et juger d’une oeuvre sont des bonimenteurs. C’est impossible. Car c’est à géométrie variable, ça les arrange de brandir cet argument pour défendre ce qui n’a pas lieu d’être défendu. Car les goûts et les couleurs, les références personnelles et culturelles, le plaisir et les sensations ressenties. Tout est biaisé. Car aussi le fait d’être influencé par les autres, la crainte d’être critiqué en retour pour avoir donné un avis négatif, par d’autres auditeurs ou même des gens du milieu de la musique. On a le droit d’exprimer qu’on n’aime pas, voire qu’on déteste, de dire « ça, c’est nul parce que etc. ». L’investissement, le travail de l’artiste peut être entendable, mais combien de travaux de longue haleine ont débouché sur des résultats médiocres qui ne convainquent personne ? Il n’y a pas une métrique absolue pour noter un album, comme un thermomètre pour mesurer la température. En soi, Drill Music In Zion est une belle petite galerie de Lupe, dont chaque auditeur doit être libre d’apprécier, avec sa propre perception des choses.
MA NOTE TRES PERSO : 14,5/20


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