« Andre 3000 a sorti un album de flûte ». Dans ma tête, tout un tas de réactions simultanées : « OK, pourquoi pas », « Je, hein, quoi? », « ANDRE 3000 A ENFIN SORTI UN PROJET SOLO WOUHOU », « Kamoulox », « voyons voir ». Pendant des années, on se contentait de ses rares couplets annuels en featuring et qui atomisaient la concurrence. C’est une personne tellement insaisissable (il souffre d’anxiété sociale) qu’on a fini par faire le deuil d’un album de rap, encore moins d’un hypothétique album des OutKast. Andre Benjamin a changé de vie, ce n’est plus l’extravagant avatar en avance sur son temps et trop surdoué pour ce monde. A ce propos il a déménagé à New York il y a plusieurs années, et s’est mis à voyager un peu partout à travers le monde comme un touriste dandy, accompagné d’une flûte un peu spéciale. Heureux sont les veinard.es qui ont croisé son chemin et pu faire un selfie avec ce monsieur.

Cette flûte n’est pas enchantée, mais numérique. Et New Blue Sun, est bien réel. Je l’ai en format triple vinyle chez moi, comme s’il me fallait une preuve matérielle de son existence. Il a fallu du temps pour que l’incrédulité se dissipe. En étant mauvaise langue, on aurait pu dire que cet album aurait pu se classer au rayon CD chez Nature & Découverte, dans la case ‘bien-être’. Ce serait insulter le génie d’Andre, pourtant il est vrai que cet album est inclassable. Ni jazz, ni classique, pas rap du tout : les seuls textes auxquels on a droit, ce sont les improbables intitulés à rallonge de ces huit compositions. Pas des intitulés ordinaires, mais des descriptifs, phrases plus ou moins philosophiques, étonnantes et même distrayantes. Et qui ça se trouve n’ont absolument aucun rapport avec l’inspiration du morceau. La première, « I Swear, I Really Want To Make A Rap Album, But This Is Litteraly The Way The Wind Blew Me This Time », est une réponse à beaucoup de nos questions. Et c’est en démarrant une écoute qui va durer presque 1h30 (!!!) d’une oreille curieuse (et même deux parce que ça vaut mieux) que l’on va chercher à comprendre où il a voulu en venir avec cet énigmatique projet instrumental.

Si pas mal monde ont pu être déçu par ce New Blue Sun, sans avoir pris la peine de l’écouter. Je pense qu’avant tout il faut respecter le choix d’Andre. Ne pas répondre aux injonctions de son public qui lui mettait trop de pression, c’est peut-être cette fuite qui a donné naissance à cette oeuvre. Il a bien le droit de faire ce qui lui plaît, ce n’est pas le débat ici de questionner sa décision. Puis, n’est-ce pas là l’essence d’un Outkast? D’être là où personne ne l’attend? De surprendre? D’oser franchir des barrières et partir vers l’inconnu? De laisser libre court à sa créativité simplement? Puis, avouez, « The Slang Word P(*)ssy Rolls Off the Tongue with Far Better Ease Than the Proper Word Vagina. Do You Agree? », c’est du Andre tout craché, toujours 3000, l’amour toujours sous la ceinture.

Comment décrire ce qu’on écoute? Une ambiance zen, très nature, minérale je dirai, en mode ‘bien-être spirituel’, idéale pour une expérience de relaxation de 90 minutes. Il faut savoir prendre son temps avec cet album, pour être en totale immersion, dans le calme. Avec un casque/oreillettes anti-bruit ou dans une pièce sans personne ni interférences extérieures. Et un bâton d’encens tant qu’à faire haha. Quand je disais que cet album devrait figurer dans les bacs de musique d’ambiance de chez Nature & Découverte, ce n’était pas tant une plaisanterie finalement… Sauf que c’est Andre 3000 dont on parle, et sa personne apparaît de manière évanescente à travers son instrument à vent numérique, ce qui rend la musique tout à fait dans l’air du temps. Le passage « That Night in Hawaii When I Turned into a Panther and Started Making These Low Register Purring Tones That I Couldn’t Control … Sh¥t Was Wild » (j’ai fait un copier/coller pour taper le titre, ne vous inquiétez pas) a été incroyable à ressentir pour moi, la sensation de pénétrer dans la peau d’un animal qui arpente une jungle luxuriante. Les 17 minutes de « Dreams Once Buried Beneath the Dungeon Floor Slowly Sprout into Undying Gardens » a vraiment quelque chose de merveilleux et onirique effectivement, comme des champs élyséens, avec un clin d’oeil à sa vie d’avant en tant que membres d’une famille provenant d’un donjon caché sous Atlanta. Pour l’anecdote, Andre a demandé l’accord de Jay-Z pour pouvoir utiliser le nom de Beyoncé sur la piste 5 (qui fait aussi référence aux Souls of Mischief).

Cet album ne serait pas ce qu’il sans le producteur et percussionniste californien Carlos Niño. Ce monsieur adore les cloches (classiques ou tubulaires) et les gongs, ça s’entend pas mal. On peut le remercier pour son travail qui permet à New Blue Sun d’être pas seulement hors du temps mais aussi hors des espaces et des cultures.

La note : pas de note (mais ça ne tenait qu’à moi, elle serait maximale)