Grâce à Grand Corps Malade, la France entière a pu découvrir le Slam, cette forme d’expression orale populaire accordant rap et chansons à texte. Longtemps marginalisée, l’heure était venue pour cette discipline Hip Hop exclusivement accappella de se répandre hors des cafés-théâtres suite à l’immense succès critique de Midi20, unanimement salué par la presse.
D’autres artistes après lui se sont engouffrés dans la brèche et ont contribué avec lui à la médiatisation, à la vulgarisation de ce genre à part. On pense également au rappeur Abd Al Malik avec Gibraltar et dans une moindre mesure Souleymane Diamanka. Pour certains comme l’ex-Starflam Baloji, c’est même devenu l’antichambre du rap. Bref, le mouvement Slam a pris une ampleur considérable dans l’Hexagone. La preuve, Midi20 a été sacré double disque de platine (plus de 500 000 disques vendus) et anobli par de nombreuses récompenses, dont deux Victoires de la Musique en 2007. Ses textes ont même été au programme de l’épreuve du Baccalauréat de Français.
Ce qui a permis à ce grand bonhomme à la béquille d’embrasser un large public, d’âges et de couches socioculturelles diverses, c’est son don pour la poésie et la déclamation. On dira – en prose – que cet originaire de la banlieue de Seine-Saint-Denis manie la richesse et la noblesse du vocabulaire de la langue de Baudelaire avec l’art et la manière pour colporter le message des Nique Ta Mère. Maintenant, prenez place confortablement dans un fauteuil pour écouter Enfant de la Ville, son second recueil.
De l’expérience accumulée au fil de ses tournées et le fait de gérer l’engouement des médias pour le Slam, Fabien s’est forgé un « Mental » de résistant en béton armé. Il reste « Underground » dans la tête comme il le dit lui-même, avec un brin d’autodérision pour rire des rumeurs accompagnant sa popularité. À en considérer « Comme une évidence », le premier extrait de cet album, personne ne pourra douter de sa vocation tellement sa sincérité et la beauté de son poème nous émeuvent.
Ce qui a par contre perceptiblement changé, c’est l’emploi d’un habillage sonore, aux influences Jazz et classiques, plus présent qu’à l’accoutumée ; un détail susceptible d’irriter les puristes du genre. GCM et son partenaire Feedback (qui a assisté à l’élaboration de ces compositions originales) vont même plus loin, en allant mettre un pied dans le hip-hop juste sur « Je viens de là », le morceau pour représenter. En outre, deux grandes figures du rap français viennent s’essayer au Slam : Kery James et Oxmo Puccino. Et à en juger leurs prestations sur « A la recherche », c’est plutôt réussi, on prend beaucoup de plaisir à écouter leur maîtrise de l’Art des Lettres.
Grand Corps Malade est un pur produit de son environnement. « Enfant de la Ville » fait la liaison avec son hommage à la banlieue parisienne (« Je viens de là »), en narrant sous une dimension plus humaine son attachement au panorama urbain et au cosmopolitisme. Il nous partage aussi des moments de nostalgie, quelques souvenirs d’enfance le temps d’un coup d’œil dans le « Rétroviseur ». On enchaîne logiquement avec « J’écris à l’oral » sur un air d’accordéon, le récit de son apprentissage dans le Slam. Le bonhomme raconte dans ce court exposé de ce milieu particulier qu’est celui du Slam comment il s’est senti irrésistiblement attiré par ce monde de liberté d’expression en arpatant les rues de Paris la nuit.
« La nuit » précisément est propice à son inspiration pour écrire de sa plume au clair de lune. Audacieux, GCM revisite à sa façon les « 4 Saisons » de Vivaldi en une symphonie lexicale. Dans un autre exercice de style, il jongle habilement avec les consonances en « Pères et mères » tout en gardant du sens dans ses écrits. Il persévère sans perdre ses vers, chapeau bas l’artiste.
On termine ce paragraphe par la bonne performance du slammeur/acteur John Pucc’Chocolat sur « Avec eux » et quelques mots sur le sketch (on peut appeler ça comme ça) « L’appartement », le morceau live de l’album où Grand Corps Malade fait la visite guidée du T2 typique du garçon célibataire. Sourires et rires garantis.
Comme promis, Enfant de la Ville est le digne successeur de Midi20, dont il est l’écho. On ressort une nouvelle fois grandi par cette écoute captivante et sereine qui pourrait bien convaincre les derniers récalcitrants (moi inclus). Notre orateur risque fort de rencontrer une deuxième consécration, preuve que le Slam a toutes ses raisons d’avoir sa place dans le paysage musical français, hip-hop y compris.
Il n’y avait nullement besoin de progrès majeurs dans son phrasé, ses intonations ou son écriture, il faudrait être un professeur de littérature pour dénoter peut-être des redondances, parfois ennuyeuses argumenteront ses détracteurs. De toute façon, Grand Corps Malade n’est pas non plus un conteur, à 31 ans, il assume humblement son rôle de porte-drapeau du courant Slam. La sublime décoration musicale, inspirée du jazz et de la chanson française d’autrefois, est ici plus étoffée et met en relief les émotions qu’il souhaite communiquer aux gens, comme dans un film.
L’instrument principal de Fabien est avant tout sa voix grave caractéristique. Dès qu’il ouvre la bouche pour ponctuer ses phrases de rimes, l’envoûtement se crée aussitôt, le silence s’installe naturellement, l’écoute se fait attentive. Et lorsqu’il finit de réciter ses vers, on se lève pour l’applaudir. Bravo !