RZA, Raekwon, Method Man, GZA, Masta Killa, Ghostface Killah, Inspectah Deck, U-God, l’esprit d’Ol’ Dirty Bastard et le « dixième homme » Cappadonna, le clan du Wu-Tang est au complet pour ce qui pourrait bien être leur dernière réunion. Un effort de rassemblement qui a nécessité trois ans de tractations et d’annonces, et qui parallèlement a abouti à la conception d’un album unique vendu aux enchères, Once Upon A Time in Shaolin, dont l’identité de l’acheteur ainsi que l’enchère (donnée pour sept chiffres) n’ont pas été révélés.
Cela a été compliqué de les réunir tous une ultime fois, quand on connaît les tensions intestines, pour des histoires d’argent et d’égo. Raekwon avait d’ailleurs été le chef d’une mutinerie avec Shaolin vs Wu-Tang, sur lequel RZA l’abbé avait été volontairement écarté. Ghostface Killah de son côté a multiplié les collaborations extérieures… Chacun à sa manière avait développé sa vision du Wu. On ne sait pas alors par quel miracle A Better Tomorrow a pu voir le jour mais l’album est bien là, et l’on découvre le Wu sous un nouveau jour.
Le Wu-Tang est comme une équipe de joueurs qui jouent perso dès qu’ils ont le micro en main.
« Ruckus In B Minor« , le morceau d’entrée, évoque naturellement « Bring the Ruckus » du classique vingtenaire Enter the 36 Chambers, mais ne vous y trompez pas : ce n’est pas une suite. Nous sommes fin 2014, les rappeurs ont moins faim qu’à leurs débuts quand ils sont sortis des bas-fonds de Staten Island c’est une évidence. Néanmoins, l’esprit subsiste pour la bonne cause, les fans qui font vivre le groupe, sur cette co-production très propre de Rick Rubin la légende. Assez ironique de qualifier de ‘propre’ des instrus du Wu quand on y réfléchit… À l’Oméga se trouve le soulful « Family Reunion » (sur un sample des O’Jays) et qui fait très chaud au coeur comme un repas de famille pendant les fêtes, sauf qu’il y a des chaises vides et ça nous rend triste finalement. Heureusement « A Better Tomorrow » est plus radieux, grâce à cet instrumental qui réutilise allègrement « Wake Up Everybody » de Harold Melvin.
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Le Wu-Tang agit comme une équipe de joueurs qui jouent perso dès qu’ils ont le micro en main. La devise qui dit que « l’union fait la force » n’est pas vérifiée. Raekwon n’est pas la personnalité la moins impliquée, mais avec un certain opportunisme, il pose des morceaux-clés mais s’indispose sur les réunions importantes. Rae crache deux très gros couplets sur « Crushed Egos » en confrontant le sien à celui de RZA sur une production d’Adrian Younge riche en orgue. Masta Killa avec son tempérament incroyablement calme n’est pas le plus audible non plus, sauf quand il démarre « Pioneer the Frontier« . A l’inverse Cappadonna donne de la voix, lui qui a toujours fait office de ‘remplaçant’, il participe sur A Better Tomorrow comme un membre à part entière. U-God aussi profite de plus de temps de parole pour faire entendre sa voix ‘raw-que’. Les cadres moyens comme GZA et Inspectah Deck restent égaux à eux-même. Quant à Method Man, il joue le rôle de pilier en verbalisant avec son phrasé assassin comme sur « Mistaken Identity« . C’est peut-être Ghostface qui est le plus effacé de tous, occupé sur ses projets solos comme l’excellent 36 Seasons qui vient de paraître. Disque pourrait bien faire de l’ombre à celui-ci. Cela rappelle 2007 lorsqu’il a tranquillement fait la promo de A Big Doe Rehab pendant que RZA vantait 8 Diagrams.
RZA est à la fois bénédiction et malédiction du Wu.
Tête pensante et architecte sonore Wu-Tang Clan comme on dit souvent, RZA est à la fois la bénédiction et la malédiction du Wu. Tout l’aspect artistique est entre ses mains, tout est sous son contrôle. Ses interventions en tant que rappeur ne sont pas les plus remarquables, bien que sa voix fait partie du décor. Lui, à qui on a reproché sur The W et Iron Flag d’être resté trop vieillot, avait su redonner de la fraîcheur à ses productions sur le précédent album 8 Diagrams en faisant appel à des instrumentations live. Il poursuit sur cette lancée sur ce sixième opus, en alternant instrumentaux originaux et orchestraux faisant la part belle à la musique soul/rock, et du sampling gras (« Preacher’s Daughter« , « Family Reunion« , « A Better Tomorrow« ). RZA abuse sur « Felt » et « Hold The Heater » d’affreuses notes d’électro qui donnent un ersatz de saleté et de spontanéité, des artifices pour sonner plus underground que ça ne l’est. Il s’occupe des choeurs aussi, seul à l’unisson. Et pourtant, il arrive que sa science puisse recréer de la magie sur quelques titres tels que « A Pioneer Frontier« , « 40th Street Black« , « Keep Watch » et surtout « Necklace« . Ces beats sombres et rocailleux, ces extraits de films de Kung Fu dont jamais on se lassera… L’esprit collectif n’est que partiel mais l’essence demeure, pas aussi vivace qu’on l’espérait. Cependant, quelque chose survit malgré tout. A Better Tomorrow pose la question du futur du Wu-Tang Clan.