Lorsque Nas a explosé à la face du monde avec Illmatic, classique rap parmi les classiques, il rappait « Life’s a Bitch » avec son ami AZ. Pour son dixième album solo, c’est plutôt Life is Good, un titre qui n’a pas tant défrayé la chronique comme ce fut le cas précédemment avec Hip-Hop is Dead et Nigger (finalement devenu ‘sans-titre’) qui ont provoqué des débats houleux et passionnés. Mais ça, c’était avant qu’il ne dévoile la pochette de Life is Good (Def Jam), où sied Nas, très bien habillé, avec sur ses genoux, la robe de mariage verte de son ex-femme Kelis.
Les choses sérieuses avaient réellement débuté plusieurs mois auparavant, quand NaS a mis en ébullition NYC avec son excellent single « Nasty« . Ce street-banger brut (disponible sur la version Deluxe, j’y reviendrai plus tard) a marqué le retour aux affaires du rappeur, le retour à son quartier de Queensbridge. Puis vient ce moment où les rumeurs et les spéculations fusent. À un moment donné, il était même question d’un featuring de Tyler the Creator (why not), Frank Ocean sur une prod de Hit-boy (qu’il a perdue!) ou même Nicki Minaj (gloups). Finalement, le tracklisting a été plus contenu que prévu et c’est tant mieux. Ou plutôt logique, Life is Good est réalisé par deux très grands producteurs actuels, Salaam Remi et No I.D., le mentor de Kanye West (s’il faut encore le rappeler).
Pas d’introduction, NaS prend le micro d’emblée et brise en morceaux l’instrumental triomphal bien préparé par la J.U.S.T.I.C.E League. La quarantaine approche et il continue de rapper comme s’il en avait la vingtaine et ce grâce à la passion qu’il voue tout entier pour le hip hop. Comme le disait son ancien rival Jay-Z, « thirty is the new twenty ». Le son qui suit « Loco-motive » ne nous rajeunit d’ailleurs pas, Nasir le dédie à ceux qui sont « ancrés dans les années 90 » (« trapped in the nineties », NdR) : une ligne de basse menaçante, des notes de piano très graves qui évoquent lointainement « NY State of Mind« , la présence symbolique de Large Professor, celui qui l’a lancé au début des années 90 justement. Beaucoup de puissance découle de ce morceau où le flow de Nas coule comme au premier jour.
Enchaînement sur ce titre immense qu’est « A Queen’s Story« , l’art que développe Nas côtoie allègrement le classique, et la musique classique avec ces superbes violons qui animent les rimes de rappeur jusqu’à ce que le beat s’efface dans l’ultime couplet, couplet qui sert après de refrain à « Accident Murderer« . Nas maîtrise prodigieusement son flow, la preuve avec « World’s an Addiction« . Pas de beat, ne reste que les instrumentations dirigées par un Salaam Remi époustouflant et la voix du soulman Anthony Hamilton. Sur une note plus douce et soul jazz, « Stay » confine au sublime. Le saxophone est un élément important que l’on retrouve ici et là sur Life is Good. La maturité stylistique du rappeur s’exprime également sur cette rencontre idyllique, et malheureusement posthume, avec Amy Winehouse sur « Cherry Wine« . Réunis ensemble par Salaam Remi pour la seconde fois (la première « Like Smoke » sur Lioness: Hidden Treasures d’Amy, NdR), cette chanson magiquement soulful fait revivre de manière troublante la chanteuse anglaise pendant quelques instants, un an après sa disparition. Qui sait quelles relations entretenaient Amy et Mr Jones tellement ils forment un beau couple sur ce morceau…
L’album est entrecoupé par deux bangers plus ou moins réussis. Le premier est servi par Swizz Beatz, ce qui n’est pas de très bon augure. On se rappelle le mauvais souvenir qu’avait laissé « Braveheart Party » sur Stillmatic, le gros point noir de cette œuvre. « Summer On Smash » (feat Miguel) est certainement le moins bon titre de Life is Good, néanmoins pas si catastrophique grâce au flow de Nas qui s’est bien calé sur le beat. On est en 2012 et des MCs calent encore leurs flows sur le beat, qu’on se le dise. Soit dit en passant, on est pas étonné non plus de retrouver Rick Ross sur la piste « Accident Murderer« , s’inscrivant dans la lignée rap mafioso. Revenons-en à nos bangers si vous le permettez, le second s’agit du single « The Don« , co-produit par Da Internz et le regretté Heavy D. Sur un sample du raggaman Supercat, Nas démontre avec aise qu’il est l’un des rares lyricistes capable de rimer sur un tube orienté club.
L’introspection de Nas l’emmène, et nous avec, dans ses jeunes années et ça s’en ressent dans les ambiances des morceaux. L’exemple de « Reach Out » (co-produit par Rodney Jerkins et DJ Hot Day) est frappant. Ça commence par une rythmique New Jack, la voix de Mary J Blige, réminiscence de l’époque What’s the 411, et arrive avec Nas ce sample très connu de « Ike’s Mood » d’Isaac Hayes. Un sentiment bienvenu de nostalgie nous envahit également à l’écoute de « You Wouldn’t Understand » (produit par Buckwild) et « Back When« , sur lequel Nas porte des propos très durs sur le troisième verst. Intimiste entre les lignes, Nas dévoile un point de vue très personnel et touchant particulièrement sur « Daughters« , une chanson rap écrite pour tous les pères qui élèvent seuls leur fille et sur ce lien si particulier de la relation père-fille. Personnel parce que tiré de sa propre expérience, vu que lui-même vit cette situation depuis son divorce d’avec Kelis. A ce sujet, le rappeur narre comme il a vécu ce moment difficile sur « Bye Baby » (avec la voix samplée d’Aaron Hall de Guy qui nous transperce le cœur), l’incompréhension par rapport à la relation qu’il vivait avec elle. Nostalgie des bons moments, tristesse, pincement au coeur, mais au final il est heureux d’avoir eu un enfant de cette relation. La vie est belle!
Pour prolonger notre bonheur auditif, il faudra se procurer la version deluxe, incluant notamment le terrible « Nasty« . Trois autres tracks supplémentaires y figurent, dont « Black Bond » et son atmosphère sombre et élégante tout comme les films de James Bond et le superbe « Where’s The Love » avec en featuring Cocaine80, le groupe supervisé par No I.D.
Malgré les bouleversements qu’a connu le prodige de Queensbridge durant deux tumultueuses décennies, le Hip Hop et lui sont toujours restés fidèles l’un vis-à-vis de l’autre, quoi qu’il advienne. Nas est un très grand artiste rap et avec Life is Good, il reprend la plus haute marche du podium. Ce n’est pas par hasard que NaS s’écrit souvent avec deux majuscules.