N.E.R.D. « Seeing Sounds » @@@@1/2


Mon cœur a failli se briser ce jour de Mars 2005 quand Pharrell Williams a annoncé la mort des N.E.R.D., un des mes groupes favoris, pour cause de brouilles avec leur maison de disque Virgin Music. Les gens qui me connaissent savent fort bien que je suis assidûment les Neptunes depuis 99 et qu’une telle déclaration puisse avoir eu sur moi l’effet d’un choc. Quelques semaines après, les bouts se sont heureusement recollés, le groupe allait continuer leurs aventures intersidérales. Il ne restait plus qu’à patienter pour voir un possible 3e album pointer le bout de son nez. Approximativement quatre ans presque jour pour jour après Fly or DieMais il est vrai que depuis cet album précisément, Pharrell et Chad ont fait bande à part pendant un bon laps de temps : Pharrell le fringuant célibataire a sorti son album solo peu ambitieux In my mind et s’affichait aux côtés des figures hip-hop haute couture tel que Kanye West, tandis que Chad, personnalité à la fois réservée et extravertie, avait un train de vie plus modeste et moins productif. Seeing Sounds (Star Trak/Polydor) est d’une certaine manière la réunion souhaitée des deux neptuniens avec leur camarade Shay. Alors si vous aviez cru d’avance que Pharrell avait fait fausse route en bossant avec Madonna et que Chad Hugo s’était donné à fond sur l’album de Kenna, vous vous mettez le doigt dans l’œil, car ils viennent de signer, objectivement selon moi, leur meilleur opus à ce jour. 

 

J’aimerai bien commencer avant de parler de Seeing Sounds par divers éclaircissements au sujet des ‘nerds’. ‘Nerd’ est un terme couramment usité aux Etats-Unis pour décrire péjorativement des têtes de premier de leur classe, moches, binoclards (pour le cliché) et insociables (sauf entre eux). Leurs loisirs favoris se résument à des activités intellectuelles peu ludiques pour un humain ordinare, du style programmer sur sa calculatrice, faire des concours d’échec ou de jeux de logique, réaliser des blogs sur les tableaux de Mendeleïev, collectionner les figurines Star Wars,… Les nerds sont à ne pas confondre avec une autre communauté répandue – mais dont ils peuvent parfois intégrer – qu’on appelle les geeks, des casaniers intellos inséparables de leurs ordinateurs, des mordus d’informatique connectés en permanence sur Internet, sur des forums ou via des jeux vidéos en ligne, souvent convaincus de leur intelligence et connaissances supérieures face aux personnes du monde réel. Fin de la parenthèse, là où je veux en venir, c’est que ce mot a inspiré les Neptunes pour former l’acronyme de ‘Nobody Ever Really Dies’. Il ne faut pas être un vrai nerd pour être fan de leur musique. Si tu kiffes le milieu skateboard ou le BMX, le hip-hop old school et hipster-hop, que tu écoutes secrètement de l’électro ou du pop/rock (ou les deux tant qu’à faire), porter des sappes urbaines sans faire fashion victim, que tu te sens rebelle dans l’âme et que tu rêvais intimement de voyager dans l’espace, que tu fais partie de la génération Atari/Nintendo et préfères regarder des films de science-fiction, tu possèdes les critères pour apprécier l’univers des N.E.R.D. 

 

Seeing Sounds est l’évolution naturelle de leur parcours artistique. In Search Of (sorti 2000), leur premier essai salué par la presse musicale alternative, était à l’image de la musique des Neptunes à cette époque, c’est-à-dire marquée en caisses claires, synthétiseurs et guitares principalement. Il en a débouché une version rock acoustique décisive pour leur carrière, car ce passage par la scène leur a ouvert ce chemin instrumental qu’ils ont choisi d’emprunter pour le déroutant (mais non moins réussi) Fly or Die, que j’ai qualifié à sa sortie de hip-hop progressif à cause de cette transversalité avec le pop/rock. Ce 3e album ne prend un pas un virage à 180° ni une direction inconnue, les N.E.R.D ont continué de développer leur son sur cette lancée, l’optimiser en corrigeant les imperfections de leurs précédentes expériences et ultimement, l’ouvrir davantage au gré de leurs influences intrinsèques. Un vrai casse-tête chinois pour les classer, les Neptunes sont un genre unique dans toute la galaxie et cet album ne déroge pas à la règle. Ce n’est pas grave du tout si vous montez dans le vaisseau Star Trak en cours de route, puisque pour voyager dans leur monde très space, il suffit de faire de la synesthésie, ‘voir les sons’ en fermant les yeux, une réaction sensorielle qui inspiré pour le titre de cette oeuvre. En ce qui me concerne je n’ai pas encore testé ce phénomène, ni cherché à comprendre pourquoi un king kong rouge sur la pochette (sans doute en référence à la manière dont Pharrell qualifie usuellement ses nouveaux instrus), j’ai juste plané durant un vol intergalactique d’une heure. Allez zou, c’est parti mon kiki !

 

La première minute nous ramène à un souvenir d’enfance raconté par Pharrell sur fond de musique symphonique enchanteresse de parc d’attractions, s’effaçant doucement pour faire place à « Time For Some Action ». Attention, c’est fini la rigolade, les hostilités peuvent commencer avec cette prod qui ne laisse à Skateboard P et Shay pas d’autre choix que de rapper. Cette piste n’est qu’un échauffement efficace pour nous préparer à la fanfare de « Everyone nose », dont l’instrumental inventif ressemble à une sorte de « Know the Ledge » d’Eric B & Rakim passé en mode survolté sur lequel les N.E.R.D. testent leur nouvel appeau à groupies, le cri de ralliement « ALL THE GIRLS STANDING ON THE LINE FOR THE BATHROOM !! ». Tout aussi décoiffant, leur second single « Spaz » égale le nerveux « Rock Star » (dans sa version rejouée je parle) les doigts dans le nez, avec ce refrain déchaîné qui électrise les foules. Toujours dans cette veine novatrice, le rapeux « Anti-Matter » adopte adroitement des rythmiques électros/drum’n bass avec des guitares saturées synthétiques. On distingue même des ad-libs étouffés de Lil Jon (si c’est bien lui dont il s’agit) sur le hook. Le seul lien qui rapproche Seeing Sounds avec son prédécesseur, c’est la tonalité soft rock de « Happy » et les six minutes du magnifique « Sooner or Later » : mélodie de piano, le falsetto de Pharrell, un joli pont et  le finish à la guitare électrique, tout y est. On pourrait y déceler sur cette chanson d’infimes influences de Lenny Kravitz, mais aussi du Knack (le groupe de rock qui chante « My Sharona ») sur « Windows » ou encore du Jamiroquai mélangé avec du Red Hot sur « Kill Joy ». Bien sûr, il y a du Neptune tout craché, comme ce « Yeah You » très classe et chaleureux, avec petit air de saxophone pour que le charme opère, le genre de titre qu’on aurait aimé retrouver sur le solo de Pharrell, au même titre que le groovy « You Know What ». Pour trouver du grand Neptune, il faut aller sur « Love Bomb ». Pour la peine, je vous laisserai vous faire votre propre avis car j’ai du mal à trouver les mots à part que c’est du son panoramique haute-qualité. Au terme de cet opus diversifié et bien entretenu, « Laugh About It » boucle la boucle avec ces relents familiers de In Search Of. 

 

Habitués à nous emmener loin des sentiers battus, les N.E.R.D. ont considérablement élargi leur univers sur Seeing Sounds, en dehors des codes et des catégories grâce à une musicalité accrue, par des arrangements atteignant la perfection, des sonorités recherchées, des ponts travaillés et des associations d’éléments instrumentaux improbables. Shay se montre plus présent dans ses interventions, il apparaît moins comme un backeur, et Pharrell, lui, a réalisé des progrès honorables au chant, au rap il est dorénavant plus régulier et moins approximatif qu’autrefois. Puis le discret Chad, il reste égal à lui-même, l’homme de l’ombre qui ajoute l’assaisonnement. Le détail le moins évident à cerner, ce sont leurs textes aux trajectoires hyperboliques dont je ne saisis pas souvent le sens. Ces toutes nouvelles créations frisent aisément le sans-faute et le plaisir procuré par cet album le fait placer parmi mes préférés des N.E.R.D., tout comme les deux premiers d’ailleurs. Le truc qui est vachement génial et que j’aime chez eux, c’est que ce qu’ils façonnent ensemble n’a strictement rien à voir avec leurs prods habituelles, aussi bien pour les artistes de Star Trak que pour n’importe quels demandeurs. Le trinôme montre au travers des N.E.R.D. leur véritable visage, c’est leur cours de récréation. Encore un disque qui va faire des tours gratuits dans ma platine pendant de longues semaines 

 

Paragraphe bonus. Quelques mots pour parler des bonus tracks et remixes disponibles sur les versions anglaises japonaises de Seeing Sounds. Le remix stylé hipster de « Everyone nose » vient reformer les CRS (Pharrell, Kanye West et Lupe Fiasco), mais le couplet speedé de Pusha T mérite la palme. La collaboration avec la révélation Santogold sur la version nipponne est trop expérimentale pour se faire un avis concret, le « Lazer Gun » paraît plus facile d’écoute mais sonne plus comme une production de Pharrell en solitaire. 

4 commentaires Ajouter un commentaire

  1. lemyvisualizm dit :

    je viens de relire ta chro…un album sans fautes..

    J’aime

  2. tristan91130 dit :

    Okok, merci d’avoir répondu à mon interrogation. Et bonne continuation!

    J’aime

  3. Sagittarius dit :

    Je sais bien effectivement qu’il s’agisse de « No one » et pas « nobody » (il le dit sur l’intro de In Search Of aussi). Mais je trouve (personnellement) ce synonyme mieux adapté à l’acronyme en question.

    Sinon oui, je suis bien le Sagittarius dont tu fais allusion ;)

    J’aime

  4. tristan91130 dit :

    Salut !

    Je trouve ta review très complète. Et j’aime forcement ce que tu dis puisque moi aussi j’adore N.E.R.D ! En plus ça me permet de m’informer un peu et d’agrandir ma culture musicale avec tout ce que tu dis parce que musicalement je m’y connais pas trop…

    Par exemple : « hipster-hop » ; « « Know the Ledge » d’Eric B & Rakim » ; « rythmiques électros/drum’n bass avec des guitares saturées synthétiques ». Tout ça, c’était soit très abstrait, soit totalement inconnu (comme « Know the Ledge » que je viens de découvrir grâce à ta review).

    Donc merci. Et sinon je voulais juste dire que N.E.R.D signifie exactement « No One Ever Really Dies », même si c’est vrai que ça colle pas tout à fait… En tout cas c’est ce que le groupe dit à la fin du titre « Rockstar » sur l’album « In Search Of… ».
    Et aussi je voulais te dire que j’ai lu une phrase de Pharrell que j’adore à propos de N.E.R.D et The Neptunes. La voici :

    « What is a N.E.R.D? N.E.R.D stands for No-one Ever Really Dies. The Neptunes are who we are and N.E.R.D is what we do. It’s our life. N.E.R.D is just a basic belief, man. People’s energies are made of their souls. When you die, that energy may disperse but it isn’t destroyed. »

    C’est surtout le début de la réponse que j’aime beaucoup (jusqu’à « it’s our life ») ! Tu connaissais déjà ou pas ?

    P.S. : c’est toi, « Sagittarius », qui fait des articles sur Rap2K.com ?

    J’aime

Postez vos avis!

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.