Après avoir été l’un des pionniers du rap hardcore en France avec le Ministère A.M.E.R., Son Altesse Double S Passi va contribuer à l’explosion d’un Hip Hop français qui commençait vers 97 à vivre ses vraies premières heures de gloire, sous l’impulsion de l’immense succès du groupe IAM avec L’Ecole Du Micro d’Argent. Avec son premier album solo, Les Tentations, le MC de Garges-Sarcelles se place en tant que fleuron du Secteur Ä, réorientant sa carrière vers un rap plus ouvert au public, plus assagi. Un virage à 180 degrés peut-on même dire, qui coupe complètement avec son image de rappeur sarcellois au franc-parler et textes controversés, qui partageait le micro avec Stomy Bugzy au début des années 90. Ne plus aller contre mais aller de l’avant, avec un discours plus approprié, politiquement correct et toujours sous la main des thèmes qui peuvent déranger.
Première action de Passi, une opération séduction avec un passage sur le petit écran et crever l’audience, avec « Je zappe et je mate ». Sur une boucle de piano reprise du thème des Feux de l’Amour, l’ série TV éternelle de TF1 (qui en est à son 34928e épisode au moins), le rappeur délivre un assemblage de titres d’émissions télé, de slogans, pour créer des messages subliminaux qui disent ‘attention vous êtes sous le contrôle de la télécommande’. « Je contrôle » replace cette idée à la première personne, l’ex-ministre de l’amertume parlant de son influence dans le paysage rap français à la fin des années 90. Pourtant il en aura fallu du temps pour en arriver à ce statut, introspection sur « 79 à 97 », retraçant dix-huit années de sa vie en France, d’enfant immigré vivant en banlieue jusqu’à son ascension en tant qu’artiste rappeur. Un morceau deux fois plus efficace grâce à un refrain accrocheur signés des messieurs refrain Jacky et Benji des Neg’ Marrons.
La variété fait partie des qualités de cet album, et pas au sens péjoratif que l’on a coutume d’associer à la chanson française qui passe à la radio. Passi aborde de nombreux sujets difficiles pour ne pas s’éloigner du personnage sans concession qu’il était par le passé, parlant de la vie carcérale (avec son protégé Hamed Daye), ceux qui sont partis trop tôt (« Tu me manques ») et surtout les violences et scènes d’émeute dans les quartiers avec l’incendiaire « Les Flammes du Mal ». Musicalement aussi, la diversité est de mise. De l’ambiance soirée funky pour serrer des filles (« Le Keur Sambo ») au passage à l’acte charnel doucement emmené par la voix d’Assia (« L’Antre de l’Ange »), revenant à ses racines africaines sur « L’Union » (prélude au projet des Bisso Na Bisso), puis sur des instrumentaux plus smooth et jazzy (« Sur la selette » suivi de « Tu me manques »), Passi ratisse large. Quitte à composer avec le superbe morceau r&b « Il Fait Chaud », qui a fait grimper le thermomètre l’été 98 tout en faisant de l’ombre à « Bye Bye » de Ménélik.
Ce serait un sacrilège également de ne pas citer le morceau qui a enterré la hache de guerre entre Paris et Marseille (rapologiquement en tout cas), « Le Monde est à Moi », le duo au sommet entre Passi et Akhenaton. Alors pourquoi tenter de resister aux Tentations ?