Kelis « Kaleidoscope » @@@@½


Découverte par le producteur du Wu-Tang RZA, Kelis n’est qu’une jeune femme de 18 ans à peine lorsqu’elle se lance dans la musique en 1999, avec des idées et des rêves plein la tête. Antithèse du conformisme, caractère bouillant, féminisme affiché et look déluré (sa coupe de cheveux allant du jaune au bleu ou dégradé d’oranges), il lui fallait rechercher une complète alchimie avec des producteurs ultra-créatifs, susceptibles de développer son univers. Cet accord parfait, elle le trouvera grâce aux Neptunes, qui réalisent eux aussi leur tout premier album entier sur label Star Trak. De cette complicité artistique naîtra cette oeuvre musicale qui bouleversera à la fin des années 90 les codes d’un r&b devenu trop convenu et policé, cet extraordinaire Kaleidoscope de Kelis, un album qui apportera énormément de fraîcheur et de fantaisie.  Non sans risque.


Cet album par qui le chamboulement arriva démarre sur les chapeaux de roue avec le single « Caught Out There », telle une furie imprévisible et incontrôlable qui hurlait rageusement sur le refrain un message haut et fort : « I hate you so much right now ». Un détail qui lui a valu le surnom d’égérie des Neptunes et une image d’effrontée, et c’est tant mieux car ça lui va comme un gant. Oui, on parle bien de cette jeune chanteuse qui chantait le refrain de « Got Your Money » d’Ol’ Dirty Bastard en 99. Les nerds Pharrell Williams et Chad Hugo lui ont confectionné des instrumentaux sur-mesure, à base de caisses claires, programmations de synthétiseurs en tout genre et d’autres instruments plus organiques (guitare sèche,…),… Bref tous les éléments de base qui ont rendu leurs productions si populaires, que ce soit hip-hop, r&b ou même rock alternatif. Notre entrée dans l’univers fantasque de cette fille arrivant dans le monde adulte se fait plus nettement avec « Good Stuff », qui nous présente Terrar (qui deviendra plus tard Pusha T des Clipse) par la même occasion.

Rebelle dans l’âme et dans l’action, les mélodies candides viennent contenir Kelis dans des joyeuseries bucoliques, avec un petit côté science-fiction complètement fun. Par exemple ce « Roller Rink », un tour de montagnes russes futuristes, accompagné de Pharrell Williams au rap (sa première intervention officielle), « Game Show » perpétue ce délire de post-adolescente grâce à ces petits sons enfantins très accrocheurs, avant que d’énormes caisses explosent les enceintes. Le ton reste positif ainsi que le message qui va avec, « Ghetto Children » est le parfait exemple de candeur, d’espoir et d’enthousiasme, nous laissant un sourire grand comme ça. On y découvrait sur ce titre le side-project des Neptunes, les N.E.R.D., avec un autre rap de Pharrell s’inspirant allègrement de Slick Rick.

Grand moment de mélancolie et de nostalgie lorsque Kelis ouvre la boîte à musique « Suspended », partageant son désarroi, sa tristesse, cet état dépressionnaire qui fige le temps et l’espace. À cœur ouvert, elle va jusqu’à avouer le désespoir provoqué par sa quête de l’inaccessible sur « Get Along With You », dont le rythme percutant ne fait qu’accentuer la dûreté de ce sentiment d’impuissance. Plus résolu, « No Turning Back » sonne comme un avertissement, les guitares soniques en fond (un peu à la « Lap Dance ») renforcent cet effet de suspens au dénouement incertain. Les meilleurs exercices de style restent le trip sur « Mars », up-tempo intersidéral où notre sacré bout de femme se prend pour une rock star, ou bien le duo final « Wouldn’t You Agree » avec Justin Vince. Dans tous les cas de figure (ou d’acrobatie), Kelis est à l’aise sur tous les plans, sa voix planant sur les airs synthétiques, entre les kick/snare neptuniens qui feront leur réputation.

Kaleidoscope est une machine qui fait rêver, avec ces effets d’optiques multi-facettes. Et cette magie faussement naïve, Kelis et les Neptunes la recréent en chansons. Sucré, salé, épicé, acidulé, bariolé, grisé, l’ambiance sonore passe par tous les tons et tous les assaisonnements musicaux possibles afin que l’auditeur puisse les yeux fermés s’imprégner de cet anti-conte de fée avant-gardiste et définitivement décalé.